jour 124

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Le menton en appui sur son bras, Salvator fixait les lignes. Ses mots maladroits semblaient tacher la feuille, bardés de ratures si prononcées qu'elles transperçaient presque le papier.

— Pff... En vrai, ça sert à rien.

— Continue.

Penché sur son cahier, Mickaël ne le regardait pas. Salva l'enviait à sa façon. Cette facilité à écrire, à penser les phrases et les retranscrire, était une aubaine. Une chance.

— Ils vont se foutre de moi quand ils vont capter à quel point je sais rien, marmonna-t-il.

— Qu'est-ce que t'en sais ? Et puis peut-être qu'ils se disent la même chose. Que tu vas les trouver nuls.

— Je parle même pas un seul mot d'arabe ou de kabyle.

— Je pense qu'ils s'en doutent très bien. C'est pour ça qu'ils t'ont écrit la traduction.

De l'index, Mickaël tapota le paragraphe français au dos de la photographie.

— Je sais pas quoi dire...

Mickaël souffla un petit soupir. Pas de moquerie. Salva entendait plutôt « c'est bon, j'ai compris, me voilà ». Et en effet, Mickaël repoussait son cahier et s'approchait un peu plus pour se pencher sur sa feuille.

— Nan, mais lis pas. Y a des fautes et...

— Comment tu veux que je t'aide si je ne lis pas ? Et puis je ne suis pas Molière, moi. Passe.

Le bout de ses doigts appuya sur le coin du brouillon qu'il tira à lui. L'écriture malhabile de Salva lui apporta un tendre sourire. Pas seulement sa forme. Son fond aussi. Son enfant intérieur s'offrait enfin le droit de s'exprimer, et ses mots le touchaient plus que de raison.

Bonjour ou bonsoir.

Sa dépent l'heure ou vous lisez. Merci pour votre photo et la lettre. Sa me fais très plaisir. Madame le juge a dis que vous voulait me rencontrer. Et je voudrais aussi, mais je sais pas comment.

Salva mordillait le bout de son crayon, dévoré de l'anxiété du jugement qu'il craignait, dévorant en même temps ce profil tant aimé. Quand Micka plongea ses yeux en lui, il s'arrêta de croquer. Le crayon demeura coincé dans sa bouche en attendant le verdict.

— C'est quoi le problème ? demanda Micka.

— Ben... les fautes. Et puis je sais pas quoi dire, moi. Je les connais pas.

— C'est justement le principe de parler. T'apprends à connaître. Oublie les fautes, on verra après. Tu vas pas me faire croire que t'as rien à dire ? Que tu penses rien ? Que t'as aucune question ?

— Qu'est-ce que vous faites ?

Carole s'approcha. Mains croisées derrière le dos, elle se pencha sur la table. Elle n'eut pas le temps de lire que Salva plaquait sa paume sur le papier.

— Je sais qu'on est censés bosser, mais je l'aide à écrire une lettre à sa famille, madame. C'est quand même bosser non ? C'est un peu du français.

Mickaël lui adressa un sourire d'angelot qui convainquit aussitôt l'éducatrice.

— C'est vrai. Tant que vous n'écrivez pas de bêtises...

Elle s'éloigna, dérivant entre les tables, vérifiant les occupations de chacun. Ces horaires-là étaient de rares temps de travail intellectuel comme Carole les appelait, en opposition aux travaux manuels qui visaient surtout à épuiser les garçons, plus que leur apprendre quoi que ce soit. Elle avait fini par remarquer qu'à force de temps, ces heures-ci s'écoulaient généralement avec calme, chacun les passant au gré de ses envies. Beaucoup dessinaient, certains daignaient lire, quelques rares comme Mickaël s'empêtraient dans de vieux cahiers d'exercice. Il n'y avait pas de meilleur choix selon elle.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant