JOUR 104

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Salva avait beau faire, il ne pouvait pas s'empêcher de lorgner vers lui. Installés dans un coin de la salle qui servait occasionnellement à quelques écrits, Mickaël et Corentin s'étaient penchés sur un texte. Depuis la cour, Salva les apercevait, à travers la fenêtre.

— Tu veux tuer qui ?

Il se détourna bien vite de cette scène, plongeant dans les yeux curieux de Ludovic qui se tenait une cigarette à la main.

— Personne.

Un coup d'œil à travers le carreau sale, puis Ludovic se redressa, un vague sourire au visage.

— Toi aussi tu le trouves chelou ?

— Qui ?

Ludovic prenait son temps. La clope dans la bouche, il inspirait avec lenteur, dardant ses iris gris dans les fonds nuageux qui recouvraient ce jour.

— La pisseuse, finit-il par lâcher.

Salva n'aimait pas ce surnom. Seulement, il n'aimait pas davantage celui qui en écopait. Il ne dit rien cependant, par fainéantise d'âme et aussi parce qu'il ne voulait pas se bagarrer avec celui qui faisait rentrer des fournitures en douce.

— Je sais pas mais je l'aime pas.

Ludovic acquiesça. Le menton baissé, il observait la cendre dévaler pour s'écraser sur le béton.

— T'as raison. Puis quand on sait pourquoi il est là.

— Pourquoi il est là ?

— Attends, tu sais pas ?

Le vicieux sourire de Ludovic ne lui disait rien qui vaille. Ses lèvres craquelées, asséchées par le tas de drogues qu'il gobait ou s'envoyait dans les narines ne lui rendaient pas grâce. Sa tête anguleuse et son corps osseux le protégeaient des emmerdes. Malgré sa maigre carrure, Salvator lui concédait qu'il avait de quoi effrayer. Lui-même aurait réfléchi à deux fois avant de se battre.

— Ben nan je sais pas ! Accouche.

Ludovic crapota quelques secondes – probablement juste pour faire durer le suspense – et daigna enfin lâcher la bombe. Il se pencha près de Salva pour murmurer :

— Il a buté ses parents. Les deux.

Un rond de fumée s'envola dans l'air grisâtre, emportant tout l'oxygène avec lui. Une seconde plus tard, le monde explosa de nouveau autour de Salvator. Il interrogea Ludovic du regard, et vu comme il ne plaisantait pas, reporta son attention vers l'intérieur où Micka et Corentin échangeaient toujours à voix basse.

— Ce mec est un psychopathe et on l'enferme avec nous ? Nan c'est trop...

Il laissa Ludovic là, peu soucieux de ne pas répondre à ses questions. Les couloirs étaient vides. Il en profita pour s'engouffrer jusqu'à la salle de classe. Planté sur le seuil, bras croisés, il éleva la voix, interrompant les deux garçons dans leur discussion.

— Tu peux sortir ?

Mickaël et Corentin s'interrogèrent du regard si bien que Salvator crut bon de préciser :

— C'est à toi que je parle.

Ses yeux houleux accrochaient Mickaël. Si d'une certaine façon il aimait la confrontation avec lui, il n'en montra rien.

— Pourquoi ?

— Quoi pourquoi ? Sors, c'est tout !

Comme il avançait, Mickaël se leva. Il avait compris ça durant ses nombreux tête-à-tête avec les adultes. Rester assis face à quelqu'un debout le plaçait en situation inférieure.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant