JOUR 12

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— Putain, lâchez-moi les baskets ! J'appellerai pas !

Mickaël observait Denis traîner Salvator par le bras jusqu'au téléphone orange à cadran.

— Tu vas appeler, je te dis ! C'est comme ça, c'est le règlement, alors fais pas chier ! Donne-moi le numéro ou je vais le chercher dans ton dossier.

Bras croisés, Salvator commença à énumérer les chiffres pendant que Denis, l'index dans les trous du cadran, les composait.

— 3... 6... 6... 5... grommelait Salvator.

Le disque rotatif émettait un chuintement robotique chaque fois qu'il reprenait sa position de base.

— ... 6... 5...

Mickaël haussa un sourcil. Un fin sourire creusa le coin de sa joue lorsqu'il devina la suite, accompagnée de l'air de la musique. Le téléphone collé à son oreille, Denis patienta jusqu'à ce que le répondeur automatique se déclenche.

— Allo ? C'est le père Noël ! Je...

Il raccrocha avec une telle violence que le combiné dégringola de son socle, sous le rire de Salvator. Il se tarit aussitôt après une claque vibrante.

— Ça te fait marrer, petit connard ?

— 3 francs 71 dans le cul du centre ! lança Salvator en brandissant son majeur.

Il s'évapora alors de la pièce, forçant Denis à lui courir après tout en vociférant. Mickaël secoua la tête, amusé par cette vulgarité. Son visage retrouva une expression neutre face au combiné qui pendouillait. En le reposant sur son socle, il ravala sa tristesse. Il ne connaissait même pas le numéro de son domicile.

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— Arrête ça !

Le nouveau surveillant, Serge, dardait ses petits yeux sur lui. Assis sur le béton brut poussiéreux, le dos contre la tôle verte du hangar, Salvator leva le menton. Il rejeta sa tête en arrière, produisant un épais bruit creux qui résonna jusqu'au dehors.

— Arrête ça, je te préviens.

— Sinon quoi.

La question se perdit dans le ton houleux de sa voix. Il serra les poings, s'obligea pourtant à ne pas bouger pour éviter de faire tinter les chaînes. Le métal pesait sur son poignet, grignotait sa peau rougie par endroits, là où la rouille perçait.

Une heure qu'il se trouvait ici, dans le froid. Il lui en restait trois. Une heure pour chaque franc perdu à cause de ce stupide appel. Le dernier évidemment arrondi à l'unité supérieure.

Salvator se réjouissait pourtant. Il n'y avait pas de porte. Impossible de fermer ce vieux hangar moisi. Le reste il s'en tapait. Il avait l'habitude.

— Sinon...

Serge le dévisagea. Il dégagea la boucle de sa ceinture, dégueulant un sourire mauvais. Le vent s'engouffrait dans chaque interstice, harcelait les panneaux qui grinçaient. Salvator fixa l'homme sans répondre. Il ne cilla pas. Il se contenta de rejeter sa tête en arrière. Son crâne percuta le métal gondolé une énième fois. Énième douleur. Il avait l'habitude. Toute sa vie on lui donnait des ordres. Toute sa vie, on cherchait à le réduire à néant. A le faire taire.

Et pendant que Serge dégageait entièrement sa ceinture dans un sifflement silencieux, Salvator eut le plaisir de se dire qu'il ne crierait pas. En soi, il offrait aux adultes ce qu'on lui demandait. Il la fermait. Mais il ne s'arrêterait pas d'agir pour autant.

Et en effet, il ne cria pas. Même quand il serra si fort la mâchoire sous la douleur que ses molaires s'éraflèrent les unes contre les autres, même quand la dent de la boucle le cingla, entamant la peau de sa joue, même quand le cuir s'abattit une fois de plus sur son dos.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant