La minute effacée - (MxM)

JOUR 32

Mickaël riait avec Corentin. Ils ne faisaient à peu près que ça, d'ailleurs. De temps à autre, Salvator jetait un œil vers eux. Il n'avait pas l'impression qu'ils abattaient beaucoup de travail. Son propre cahier demeurait vierge. Une blague de mauvais goût pour lui étant donné l'en-tête « de la 6e à la 5e ». Le titre jaune fluo s'étalait par-dessus un ciel bleu sans nuage.

Et un tas de pecnots sous un parasol, comme si un cahier de vacances c'était le summum de l'éclate. Je suis même pas en vacances, putain !

Carole avait eu cette brillante idée qui semblait plaire aux autres garçons. Salvator les soupçonnait de n'en avoir rien à fiche, mais de préférer cette activité à celle d'empiler des parpaings. En soi, lui aussi. Pourtant, les rires silencieux de Corentin lui tapaient sur le système, l'empêchaient de se concentrer. Il lutta pour ne pas laisser échapper un « tu veux pas fermer ta gueule ? », seulement retenu par le fait d'écoper d'un sale regard de Mickaël. Ludovic ne fournissait pas le moindre effort ; un bras sur le dossier de sa chaise, en appui sur les deux pieds arrière, il mâchouillait un crayon de bois, l'air absent. La cour intérieure semblait l'intéresser davantage. Salvator lui envia cette insouciance. Lui ne pouvait se détacher du titre.

De la 6e à la 5e

Ça fait quoi ça ? Onze, douze ans ? Quelle merde.

Il en avait dix-sept, voire dix-huit en fonction de sa naissance, pour ce qu'il en savait. La plupart des réponses lui échappaient. Il avait bien hésité à recopier bêtement les solutions de la fin du cahier, seulement, ça ne l'amenait à rien. À la place, il remplit les lignes pointillées des dialogues de la publicité « Omo » qui, à défaut de lui apprendre quoi que ce soit, ne manquaient pas de le faire rire. Il imaginait la tête de l'éduc qui lirait ça, si tant est que quelqu'un ici se sente suffisamment concerné par ce qu'ils faisaient.

Que signifie exode rural ?

Crapoto bastafuite______ _ _ _ _ _ *

Définir métropole.

Maousse kosto__ ___ _____ _ _

Qu'est-ce que la littoralisation ?

La li..lite... littoli... litto- ra – li...

Le rire de Corentin le priva de sa concentration. Il poussa un profond soupir et se leva, claquant la porte de la salle derrière lui. Carole ne tenta pas de le retenir, ce qui l'énerva encore plus. Elle faisait figure de décoration pour lui si elle ne faisait même pas régner un peu d'ordre. En épinglant une cigarette à sa bouche, il pesta intérieurement, bien conscient de son hypocrisie.

Quand elle s'occupait d'eux, il ne rêvait que de l'expédier loin, quand ils étaient libres, ça ne lui convenait pas non plus. À bien y réfléchir, Carole n'avait rien à voir avec son énervement.

Le briquet trembla entre ses mains quand il activa la flamme. Il eut le temps de le ranger avant que Carole ne le rejoigne dans la cour.

— Je vais pas demander comment t'as allumé ça...

Salvator expira un nuage de poison autant que de patience.

— Parait que l'homme a inventé le feu je sais plus quand, avec des silex, et tout.

— C'est ça... Fais le malin...

Aucune menace dans ses paroles. Au contraire. Elle sortit une cigarette elle aussi, et son briquet claqua dans le silence.

— Qu'est-ce qui te prend ?

— Vous en avez quelque chose à faire genre ?

Carole baissa les yeux. Des ridules se creusèrent au coin de ses tempes quand un sourire triste s'y figea. Elle observa un instant ce visage juvénile marqué par déjà tant d'amertume.