JOUR 84

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Installé en travers de son lit, le dos collé au mur, Salvator observait la lune à travers la minuscule fenêtre. L'ampoule du couloir tentait bien de bouffer un peu des ombres, sans grand succès. Il s'en fichait pas mal. La chambre ouverte formait comme une plaie béante dans sa poitrine. La porte écartée faisait face à sa voisine. Et plus loin, engoncé dans ses couvertures autant que dans l'obscurité, Mickaël dormait. Seules quelques boucles dépassaient de la couette.

Salvator ne voyait pas son visage.

Pour quoi faire de toute façon ?

Plus d'un mois qu'ils n'avaient rien échangé. Ou plutôt, qu'ils n'avaient pas parlé. Des regards, ils en avaient échangé. Plus que de réserve. Leurs sourires s'étaient fracassés. Ne restait que la volonté de fuir. De temps à autre, leur attention s'accrochait avant de se déchirer.

Ainsi, Salvator avait découvert qu'il existait pire encore que le noir qui engloutissait autrefois son petit corps au fond de la cave. Il y avait le noir qui rouillait son cœur, le perçait à un endroit où il s'était jusqu'alors senti creux. Et quelle horrible sensation que celle de remplir quelque chose qui se vidait à nouveau.

Il serra le poing jusqu'à ce que les minuscules roues de la voiture miniature s'impriment dans sa peau. Puis la jaguar s'écrasa contre le mur.

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JOUR 87

Salvator ne mangeait pratiquement plus. La faim était au rendez-vous. Mais Mickaël assis en face, lui coupait l'appétit. Il ne faisait rien pourtant, se contentait de prendre son repas en silence, répondant laconiquement à Corentin. Ses sourires s'étaient tus. Salvator le savait parce que les coins de sa bouche se relevaient, et Micka ne souriait pas comme ça. Ces sourires-là relevaient ses pommettes, lui donnaient l'air plus jeune.

Salvator les détestait parce qu'ils étaient faux, et il avait l'impression d'être le seul à le voir. Il ignorait ce qui bouffait Mickaël, et visiblement, ce petit con avait choisi son camp. Ils n'étaient plus amis.

Tout avait commencé par des silences, et puis des moments volés, passés avec d'autres plutôt que lui. Et peu à peu ils s'étaient éloignés, jusqu'à à peine s'adresser un salut.

Salvator avait envie de le secouer, lui en coller une pour le faire réagir. Mais rien. Mickaël semblait vidé de toute substance. Il ne répondait plus, s'était rangé sans discuter. Parfois, il croyait voir surgir l'ancien Mickaël au détour d'un regard, mais il s'enfuyait aussitôt.

Ce changement d'attitude n'avait pas échappé aux éducateurs ni à Florent, qui prenait un malin plaisir à le titiller.

— T'as l'air de plus avoir faim ! Donne !

Florent étendit le bras pour se servir de la crème dessert.

— Tu pourrais demander au moins ! râla Corentin.

Un sourire mauvais, Florent posa la coupelle dans son propre plateau, attendant une suite qui ne venait pas. La tête basse, Mickaël farfouillait dans sa purée. Et comme il ne se plaignait pas, les adultes n'intervenaient pas. Il doutait d'ailleurs qu'ils interviennent. Denis et Serge n'étaient pas connus pour leur grande affection.

N'y tenant plus, et peut-être aussi par pure provocation, Salvator allongea le bras et récupéra la coupelle. Tous les regards convergèrent vers lui. Il attendit. Florent avait pris l'habitude de l'éviter depuis leur bagarre. Il avait compris qu'ils n'avaient pas le dessus. Pour une raison obscure, Micka avait décidé qu'il n'aurait plus le dessus non plus, mais hors de question pour Salva de laisser cet abruti de Florent faire sa loi.

— Rends-lui.

Salva crut avoir mal entendu. Mickaël le fixait. Enfin leurs regards se rencontraient. S'affrontaient.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant