Mickaël poussa un soupir. En voulant s'étirer, il manqua de valdinguer par terre.
Oh merde... On s'est endormis quand même.
En face d'eux, l'écran de la télévision grésillait, signe que la cassette s'était terminée il y avait bien longtemps. Il n'eut pas le courage de la rembobiner et se contenta d'appuyer sur le bouton.
Dans son sommeil, Salva avait glissé ; calé sur le côté, le thorax soulevé par une respiration lente et profonde qui s'échouait sur les bords de son poing recroquevillé. Son pouce disparaissait dans sa bouche. Mickaël pencha la tête, l'observa pendant de longues minutes. Son instinct premier lui hurlait de l'entourer, le bercer jusqu'à ce que Salva se sente à l'abri. Il hésita à le réveiller puis changea d'avis.
Pour une fois qu'il dort bien.
Il mettait cela sur le compte des géants néons qui éclairaient l'endroit plus que nécessaire. Ici, ni obscurité ni petitesse. Tout était infiniment grand justement.
Bien les humains ça, de faire des trucs qui les dépassent. Des bateaux qui coulent, * des avions qui se crashent...
Il déglutit, soudainement mal à l'aise. L'Airbus A310 ** s'était crashé à cause d'un gamin de quinze ou seize ans. À peu près leur âge. Il ne pouvait qu'imaginer l'effroi. Celui des familles des victimes. Celui de la femme qui avait perdu à la fois deux enfants et un mari – l'un des deux pilotes. Celui du pilote qui avait laissé les commandes de l'avion à ses enfants. Une décision en apparence anodine. L'avion en pilotage automatique ne nécessitait aucune aide humaine à ce moment-là. Mais cette envie de faire plaisir allait mener l'entièreté des personnes présentes vers la mort. Un ensemble de facteurs invisibles. Le manque de formation du commandant de bord sur le pilote automatique, notamment le fait d'ignorer qu'avec un peu de force, il se désactivait. L'aîné avait mis plus de force que sa sœur de douze. Il ne craignait rien puisqu'il avait une foi indéfectible en son père. Ce n'était qu'un jeu. Un jeu dont tout le monde ignorait les règles.
Si le commandant avait été formé, alors il aurait su qu'il n'avait qu'à réactiver le pilote automatique et laisser l'avion se redresser. En lieu et place, les pilotes avaient lutté manuellement. En vain.
Les mains jointes entre ses genoux, Mickaël observait le sol, le cœur en miettes.
C'est tellement débile toute cette histoire. C'est toujours pareil. Des trucs abominables qui arrivent parce que les gens ignorent les dangers. Ils font exprès de ne pas les voir. Et une fois que c'est passé, alors on prend des décisions. Alors qu'on pouvait les prendre avant... Maintenant, les passagers n'ont plus le droit de visiter les cockpits pendant un vol. Super. Soixante-quinze morts pour prendre cette décision...
À force de réfléchir à ces bateaux et ces avions qui perdaient le contrôle, il songea aux voitures.
T'es aussi con que ces gens. Tu piques des bagnoles pour le plaisir de rouler vite. Mais à tout moment tu percutes quelqu'un ou un animal. T'es pas bien plus intelligent.
Ceci étant, tout ça lui paraissait injuste. Oui, il était stupide. Il le reconnaissait. Mais ce n'était pas vraiment une cause. Plutôt une conséquence. S'il volait des voitures, ce n'était pas pour nuire. Juste pour fuir. Fuir cette maudite maison où les supposés adultes se hurlaient dessus, où les bouteilles remplaçaient les assiettes. Il voulait oublier. Or la seule manière d'oublier qu'on lui ait inculquée flottait dans l'alcool. Il refusait ça. Alors il oubliait dans la vitesse. Ce n'était pas bien grave à ses yeux. Après tout il les rendait ces voitures. Et puis, il n'était qu'un ado. Voilà.
Il aurait dû pouvoir compter sur ses parents comme les autres gamins du collège / lycée. Il voyait bien ce qu'ils vivaient, ce que lui manquait. Et pendant un temps, il avait espéré que quelqu'un remarquerait son absence. Un professeur. Un élève peut-être. L'école était obligatoire jusque seize ans après tout. Il avait déserté vers quatorze, dans ces eaux-là. Mais personne n'avait vu. Personne n'avait appelé. Le téléphone ne sonnait de toute façon que pour les huissiers. Mickaël avait fini par cesser de décrocher lui aussi, faute de savoir quoi répondre.
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La minute effacée - (MxM)
RomanceUn soir de 1994, Mickaël, jeune délinquant de la route, vole une énième voiture. Cette fois sera la bonne pour la brigade qui le prend en chasse. Très vite il est jugé, et emmené dans un centre pour délinquants. C'est là qu'ils se rencontrent. Deux...