JOUR 1

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— Putain ! Je vais tous vous crever, bande de bâtards ! Sales chiens ! Lâchez-moi ! LACHEZ-MOI JE VOUS DIS !

Mickaël restait planté dans le couloir. Trois gendarmes et deux éducateurs trainaient un garçon à l'étage. Ses membres maintenus ne l'empêchaient pas de se débattre. Il se contorsionnait comme une anguille, les insultes lui glissant dessus aussi aisément qu'il les vociférait.

Curieux, Mickaël suivit le groupe. Il grimpa les escaliers, sachant pertinemment où ils l'emmenaient. Il n'était dans ce centre pour délinquants que depuis trois semaines, mais en connaissait déjà les règles. Lui au moins avait eu l'intelligence de faciliter son entrée.

La porte de la chambre d'isolement grinça sur ses gonds quand un éducateur – Denis – l'envoya valdinguer d'un coup de pied. Elle rebondit contre le mur tandis que l'adolescent continuait de hurler. Il fut bientôt plaqué sans ménagement sur le matelas en mousse pendant que Denis sortait de vieilles sangles de cuir.

Mickaël voulut s'approcher, pensant que personne ne faisait attention à lui, mais une main le tira violemment en arrière.

— Bouge de là ! T'as pas le droit d'être là !

D'un coup d'épaule, Mickaël se dégagea de la poigne de Carole, l'autre éducatrice en poste. Par pure provocation, il rejoignit sa chambre, située juste en face, et il feignit de s'occuper. Quelques minutes en plus suffirent pour que les adultes débarrassent le plancher, fermant à clé l'épaisse porte en bois derrière laquelle des cris s'échappaient encore. Un très net « SALOPARDS !! » fendit l'air avant que la voix ne s'étouffe contre la seconde porte qui clôturait le sas.

Habituellement, Mickaël voyait cette salle d'un très mauvais œil. Les autres gars aussi. Mais il se sentait tout à coup heureux qu'elle existe pour des cas comme celui-là.

D'un pas léger, il se glissa dans le passage puis avança jusqu'au carreau de plexiglas.

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La poitrine en feu, une angoisse cotonneuse dans la gorge, Salvator tirait sur ses liens. Les sangles produisirent un craquement de cuir qui lui fila la nausée. Le jour commençait à s'éteindre, en même temps que son rythme cardiaque accélérait. La tête lui tournait. Il allait s'évanouir.

Hurler à pleins poumons le desservait. L'oxygène bienfaiteur se raréfiait à mesure que la peur se muait en terreur pour lui étreindre le cou. Bientôt, il ferait noir. Ces connards allaient le laisser là, et il allait crever comme un chien attaché. Il ne savait même pas où il était, la vision rétrécie par la rage. Son sang pulsait jusque dans ses rétines par à-coups. Par réflexe, il poussa un cri. Guttural. Bestial. Un animal pris au piège. Voilà sans doute comment les autres le voyaient. La société dormirait mieux ce soir en le sachant enfermé. Cette pensée le fit enrager.

Ses ongles s'enfoncèrent dans sa paume à force de serrer les poings. Il aurait tué pour un verre d'eau, la gorge asséchée d'avoir tant dégobillé d'insanités.

Soudain, une voix ; qui lui fila un coup d'adrénaline comme un électrochoc.

— Pourquoi tu cries ?

Il redressa la tête, effaré de découvrir un front bardé de lourdes boucles brunes. Deux yeux noirs le fixaient. Le reste du visage se dissimulait sous l'arête du carreau.

— Pour faire la Castafiore, connard ! À ton avis ? Putain !

Le garçon cilla.

— Vu comme tu causes, t'as plutôt une gueule de Capitaine Haddock.

— T'as de la chance que je sois attaché, toi ! On verra qui fera le malin quand je serai sorti d'ici !

Pour son plus grand déplaisir, ce discours n'eut aucune incidence sur le mystérieux interlocuteur qui se contenta de balancer un « ouais, ben vu comme t'es parti, tu vas rester là longtemps ».

Et comme il était apparu, il disparut. Cette remarque accentua le nuage noir qui grossissait dans son estomac. Salvator se débattit de plus belle, écumant quelques grossièretés, avec pour tout effet d'entamer la première couche de peau de ses poignets. La douleur ne lui faisait pas peur.

Les dents serrées, il tira sur ses liens pendant plus d'une heure, ses cris se transformant en plaintes à mesure que la lumière fuyait l'unique fenêtre de la pièce. Bientôt les ombres grignotèrent les coins, avant de se rapprocher de lui. Il ahanait, les yeux fixés sur ces formes géométriques au sol emplies d'obscurité.

Une fois la nuit tombée, seule sa respiration submergeait les lieux. Il entendait les rats griffer le ciment, les murs glisser sur le linoléum. Il allait crever là. Mais à son grand soulagement, la nuit s'abattit sur lui. À force de s'époumoner, les muscles tendus par l'effort, le palpitant galopant, il s'éteignit d'un coup. Black out.

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JOUR 2

Le lendemain, Mickaël s'assit à sa place habituelle – naturellement tout le monde choisissait une place pour ne plus en changer les six mois suivants – quand il eut la surprise de voir débarquer le nouveau venu. L'éducateur du matin le tenait par le coude et le fit s'installer en face de lui, sans ménagement, lui enjoignant de bien vouloir se comporter. Il sembla à Mickaël capter un vague « va te faire foutre », marmonné si bas qu'il n'aurait pu en jurer.

Les repas faisaient sans aucun doute partie des moments les plus conviviaux de la journée. Les éducateurs discutaient en bout de table entre eux, et les garçons profitaient de cette pause pour bavarder ou s'enquiquiner, au choix.

Mickaël ne brillait pas particulièrement par sa sociabilité, cependant un garçon s'était pris de sympathie pour lui. Un dénommé Corentin. Il engageait la conversation de temps à autre, si bien qu'il s'était installé à sa gauche, s'épargnant le voisinage de quelqu'un de moins désirable tel que Florent. Ce faisant, le nouveau d'en face lui jetait un regard enfiévré, les pupilles incendiaires. Ses fines lèvres boudaient sous son nez busqué.

— Quoi ? finit par demander Mickaël.

— C'est toi qui es venu me faire chier en iso hier ?

Mickaël haussa les épaules. Les types comme ça, il les connaissait bien. De loin. De grandes gueules, toujours à vouloir se prouver qu'ils étaient les plus forts. Une énergie dépensée des plus inutiles. Il enfourna sa tartine de confiture sans un mot de plus.

— Salvator... Commence pas ou t'y retournes illico en iso, intervint Denis.

Corentin eut le malheur d'esquisser un sourire, ce qui attira l'attention du nouveau.

— Ça te faire rire, connard ? Avec une gueule comme la tienne, t'es pas en position de te marrer !

— Oh ferme-là, répondit le concerné.

Salvator se leva d'un bond, les mains à plat sur l'épaisse table de chêne qui trembla.

— T'es sourd ou quoi ? lança Denis, lui collant une tape sur la tête. Tu t'assois et tu la boucles !

— Eh tu me touches pas, toi !

Denis se redressa, sans le quitter du regard. 1m95 au bas mot, des biceps trois fois comme les siens, nota Mickaël. Au minimum. Pourtant Salvator ne baissa pas les yeux, même quand il reçut ces mots en pleine figure.

— Écoute-moi bien, petit merdeux. Je t'en colle une si je veux. T'es personne ici. Je peux te faire foutre en prison comme en iso pour les six mois que tu vas passer ici alors réfléchis bien avant de me faire chier. Maintenant tu bouffes sinon je t'enfourne ça dans le gosier, capish ?

Salvator ne répondit rien, bien que ses yeux le fissent pour lui. Il reprit place, non sans assassiner Mickaël du regard. Histoire d'obéir, mais sans plus, il attrapa une tartine au vol et la trempa dans du lait froid. Hors de question pour lui de manger comme si de rien n'était. Il devinait sans peine que personne n'était censé le laisser crever de faim ici. De fait, il se contenterait de ça. Il se fichait bien de sa santé. Le fait est que s'il pouvait emmerder un maximum de monde, il le ferait. Il ne pèterait pas les plombs tout seul.

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Bonjour. Grosse ambiance, non ? 😌✨
Ça promet. Salva qui rage ça me fera toujours rire. 😂

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant