Les bras croisés, Mickaël fixait l'écran qui retranscrivait le procès en cours. Il n'avait pas voulu entrer, bien qu'il en eût le droit. Cet écran représentait le barrage nécessaire entre le coupable – parce qu'il l'était à ses yeux, nul besoin des conclusions du jury – et lui. D'autres personnes suivaient, tête levée, véritables piquets humains en attente, le souffle coupé.
Il ne doutait pas de l'issue, pourtant le stress le rongeait plus que d'ordinaire, même s'il devait admettre que c'était un colocataire qu'il avait appris à apprivoiser depuis un tas d'années.
Quand la cour reparut, le verdict tomba, emportant avec lui un poids qu'il portait depuis presque cinq ans. 17 h 31. Les curieux commençaient à se retirer. Lui demeura là, incapable de sourire. Il ferma les yeux au moment où l'écran s'éteignit, dans l'attente du procès suivant. Il n'y avait pas de soulagement, ou à peine. Rien ne réparerait jamais ce que le coupable avait fait. Il était d'ailleurs trop tard. Bien trop tard. Au moins ne recommencerait-il pas.
Tu as gagné ton procès, Jordan...
Mickaël prit une profonde inspiration et entreprit de rebrousser chemin. Il n'avait plus rien à faire ici. Il se demandait même comment les gens qui travaillaient là supportaient cette existence à côtoyer certains des êtres humains les plus abominables qui soient.
Et encore... seulement ceux de la région.
Cette pensée lui donna le tournis. Combien de monstres trainaient donc sur cette Terre ? Combien de condamnés pour combien de toujours tapis dans l'ombre ? La plupart des gens estimaient son métier atroce par bien des côtés, mais il s'en défendait. Une donnée changeait tout, traçait une nette limite entre les coupables d'ici et ceux de son monde. Les siens étaient des gosses. Ni plus ni moins. Aussi terribles fussent leurs actions, ils n'avaient pour la plupart que la maturité d'un gamin, une éducation flétrie, voire inexistante, doublée d'un environnement gangréné. Il se raccrochait à ça, même s'il était bien conscient que beaucoup de ceux qui passaient quelques mois avec lui, finiraient par passer quelques mois en prison. Dans le meilleur des cas.
Pourtant il se refusait à les condamner par avance, malgré les statistiques, malgré la mauvaise volonté de ces adolescents et la démission totale de l'État. Il voulait y croire jusqu'au bout.
— Putain, chopez-le !
L'ordre à peine lancé résonna dans le hall de la cour d'assises. Mickaël n'eut pas le temps de réagir et termina au sol, percuté de plein fouet par un type menotté qui tentait de se frayer un chemin parmi le public. L'œil fou, l'air hagard, ce dernier manqua de trébucher. Il se redressa pour continuer sa course. Sans doute cherchait-il à échapper à son destin. En vain. Le destin prit la forme d'un homme brun qui le rattrapa pour le placarder dans un ballet de jurons. Sa rage se lisait dans ses gestes vifs, tranchants. Deux officiers se précipitèrent à sa suite.
— Relevez-vous, on gère ! arguèrent-ils.
Cristallisé, Mickaël demeura là, à observer cet échange abrupt qui perdait tout sens.
Ce n'est pas possible ?
— Vous gérez rien du tout ! cracha l'homme.
Il parvint à se redresser, emportant d'une poigne de fer le fugitif dans son sillage qu'il projeta vers eux.
— Encore un peu et il se taillait. Faites mieux votre taff !
Il épousseta son jean avant de tirer sur les pans de son blouson.
— Parlez mieux ou on vous coffre pour outrage à...
Il éclata d'un rire grave. Puis ses yeux plissés arborèrent de nouveau un air sérieux.
— On se retrouve au commissariat de Lens, alors, répondit-il, mains sur les hanches. Lieutenant Dali. Je suis en civil pour témoigner. Vous m'expliquerez pourquoi la police continue d'embaucher des incapables de votre espèce. Allez, cassez-vous !
C'est lui ?
Les agents virèrent au rouge pour l'un, blanc pour l'autre, et ne se firent pas prier, entraînant le présumé coupable en salle d'audience. Mickaël en aurait presque ri. Il en profita pour se relever, espérant s'éclipser sans dommage, quand le lieutenant se tourna vers lui.
— Ça va, monsieur ?
Il ne put qu'acquiescer, tête baissée, la gorge sèche. Les formes du carrelage semblaient s'imprégner sur sa rétine tandis qu'il s'éloignait déjà d'une démarche raide, les mains dans les poches.
— Attendez. On se connait, non ? Votre tête me dit quelque chose...
Ses mots le stoppèrent aussi sûrement que s'il l'avait également placardé au sol.
— Non, je ne crois pas.
Le lieutenant calqua son pas sur le sien. Mickaël sentait son regard scanner son visage, couler sur sa peau à la recherche du moindre indice.
— Moi je crois que si. Vous êtes bien pressé de partir. Je vous ai déjà fait coffrer ?
Mickaël dévalait les marches du tribunal, ses clés de voiture à la main. Un bip retentit. Il ouvrit la portière, jaugeant l'homme de ses yeux sombres.
— J'ai une tête à être allé en prison ?
Accoudé sur le toit du véhicule, il attendait une réponse. Le lieutenant le fixa un instant. Il n'aimait pas ce brin d'arrogance palpable dans l'air. Mais quelque chose le retenait. Une infime sensation. Un goût de déjà-vu. Son regard dévia sur la capote qui recouvrait la voiture. Il revint à l'homme qui l'observait toujours par-dessous quelques boucles noires, le menton légèrement baissé.
Là seulement, le souvenir le percuta.
« Calé dans le coin de la portière, l'adolescent laissa courir son doigt sur la rainure du carreau, puis sur la capote en toile de la Mercedes 300.
— Alors quoi ? Tu comptes la voler ? lui demanda Salva.
— Je pourrais... Mais je vais faire mieux que ça...
De là où il se trouvait, à quelques mètres à peine, il ne distinguait pas son regard, obscures pupilles noyées dans la nuit. Il devinait pourtant à son ton que Micka était sérieux. Cela leur arrivait de temps en temps. Même si ça ne faisait pas partie de ses moments préférés.
— Quoi alors ?
— En avoir une à moi. Vraiment à moi... Bon tu viens ?
Les clés tintèrent, tournant au bout de son doigt. Du menton, il désigna la grille. Le centre entier dormait, y compris le veilleur. La liberté était à portée de main.
— T'es sérieux, là ?
Le sourire de Micka s'élargit. Il fit dégringoler le trousseau au creux de sa paume, ne conservant qu'un badge entre son pouce et son index.
— Je suis toujours sérieux, Salva... »
Le coin de la bouche de Mickaël dégringola doucement en un sourire inversé qu'il n'avait pas vu depuis un paquet d'années. En moins d'une minute, son monde entier se figea. Les années s'effritèrent sous ses yeux ébahis.
— Plutôt une tête à avoir manqué d'y finir... Putain, j'y crois pas. Offret ? Mickaël Offret ?
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Eh bonjour à vous. Je suis ravie de vous retrouver pour cette nouvelle aventure. Ne vous attachez pas trop aux versions adultes de Micka et Salva parce que dès le prochain chapitre, je vous emmène avec moi pour un sacré bond dans le temps... back to the 90's, babies !! 😏✨
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La minute effacée - (MxM)
RomansUn soir de 1994, Mickaël, jeune délinquant de la route, vole une énième voiture. Cette fois sera la bonne pour la brigade qui le prend en chasse. Très vite il est jugé, et emmené dans un centre pour délinquants. C'est là qu'ils se rencontrent. Deux...