Chapitre 14

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Je suis dans ce camping. Camille... enfin, la chose qui a pris son apparence, n'est plus là. Me voici seule, dans une tente deux secondes.

Je me pince. Cela ne fait rien. Je me pince à nouveau, plus fort. Toujours pas. Je suis toujours dans ce camping. Alors que deux minutes auparavant, j'étais au milieu de rien en compagnie d'une espèce de fantôme en forme de Camille.

Une angoisse grandit alors en moi. Je ne comprends absolument pas ce qu'il se passe. La panique m'envahit. Il m'a suffi de penser à un lieu pour m'y rendre! Cette absence de logique me terrifie.

Plusieurs minutes passent. Je suis recroquevillée dans ma tente à essayer de comprendre en vain ce que je vis. Je tourne la tête pour regarder ce qu'il y a dans cette tente. Je suis assise sur un matelas un peu dégonflé. Un duvet vert foncé est chiffonné au pied de ce matelas. Une grande valise noire est posée à côté. Ouverte, il y règne un désordre sans nom. Étrangement, les affaires entreposées dedans me donnent une impression de déjà-vu.

Soudain, en déplaçant ma main, je sens une matière bizarre. Je touche une chose molle, à la texture un peu rêche. C'est en tissu. Je le prends dans ma main et l'approche doucement dans mon champ de vision. Et quand je vois enfin ce que c'est, je sens un poignard imaginaire qui me taillade le ventre.

Je tiens dans ma main droite un simple doudou. C'est un chien bleu ciel avec une tache marron sur l'œil. C'est une peluche un peu banale pourtant, elle est tout à fait unique puisque c'est la mienne.

Je le reconnaîtrais entre mille. Ce doudou est certainement la première chose que j'ai tenue de ma vie et je ferai tout pour que ce soit la dernière. J'ai passé toutes mes nuits à le serrer dans mes bras. C'est lui qui me protégeait de mes cauchemars, de mes peurs, de mes peines. Je lui ai tout dit. Il a tout vu de moi. Personne ne me connaît mieux que lui. Petite, les enfants qui martyrisaient leur doudou me dégoûtaient. Ils le tenaient mal, le secouaient, le mordillaient. Pour moi, c'était inconcevable. Mon doudou est mon meilleur ami. 

Il est toujours avec moi, d'ailleurs. Il passe ses journées dans mon lit dans mon appartement pendant que je suis en cours. Alors que fait-il ici?

Je contemple mon doudou en silence. Une larme coule le long de ma joue mais je la sens à peine. J'ai toujours été sensible à mes souvenirs d'enfance. Cette peluche est la seule chose que j'ai gardée de celle-ci. Le seul symbole enfantin que je me suis permis de garder dans ma vie d'adulte.

- Pourquoi tu pleures?

Je lève d'un coup mes yeux humides vers le ciel. Je connais cette voix. Mais je ne sais plus à qui elle appartient. 

Le soleil masque le visage de l'homme qui vient de me parler. Je ne sais absolument pas à qui j'ai affaire mais bizarrement, je me sens en parfaite confiance.

Je ne dis rien. Lui non plus.

Il se contente de s'accroupir pour se mettre à ma hauteur et approche sa main. Je ne connais pas cet individu pourtant son contact me fait énormément de bien. Ses doigts caressent tendrement mon visage. Je souris en dépit de mes larmes. Je sens sa main remonter derrière ma nuque. Et c'est là que je sens la fraîcheur d'un bijou métallique contre mon cou. Cet homme a une bague.

Je saisis sa main sans délicatesse et la ramène devant mes yeux. J'observe pendant de longues secondes cette main aux longs doigts maigres et pâles. L'index est décoré d'une bague d'acier fendue d'une épaisse bande noire. Cette fameuse bague. Cette bague que j'ai tant vue. Cette bague que je connais par cœur. 

Mes doigts serrent la main de l'inconnu en tremblant. Mes pouces s'enfoncent dans sa paume tiède. Mes ongles griffent presque le dos de cette main. Le soleil masque toujours le visage de cet homme. Impossible de le voir. Il ne dit toujours rien.

L'espace d'un instant, je me dis que je suis peut-être en train de dormir et de refaire ce songe une fois de plus. Mais je réfute rapidement cette hypothèse. Dans mon rêve, je me laisse simplement caresser sans poser de questions. Je ne sais pas faire de rêves lucides. Or, là, j'ai la sensation de contrôler ce que je vis. Et puis, tout semble si... réel.

Alors, je tente le tout pour le tout. Je veux savoir. J'essaye de formuler la question qui m'a si longtemps brûlé les lèvres. Je bafouille avec difficulté, d'une voix très basse :

- Qui... es-tu?

Il ne réagit pas. Je tiens toujours sa main que je serre très fort. Il ne m'a sûrement pas entendue. Je réessaie, avec un peu plus d'assurance : 

- Qui es-tu?

Toujours rien. J'ai l'impression de parler à une statue. Je ne peux pas voir d'émotion sur son visage. Il ne bouge toujours pas. Je tente donc d'être plus claire : 

- Je rêve de toi toutes les nuits. Et là, je te retrouve ici. Nous semblons être proches, tous les deux. Je suis persuadée de te connaître. Alors, qui es-tu?

Il reste muet, encore. Soudain, mon angoisse revient me percer le cœur. Je suis perdue, dans un endroit que je ne connais pas, avec un homme que je ne connais pas non plus. Je me sens en danger. Cette absence de points de repère me terrifie. Je perds mes moyens et cède à la colère.

- Mais t'es qui, putain?! Tu me harcèles chaque nuit, je te vois partout! T'es qui? Un fantôme? Un esprit? Un dieu? Dis-moi qui tu es!

Tout en hurlant, je serre sa main encore plus fort, jusqu'à ce que mes ongles percent sa paume et la fassent saigner. Mes larmes coulent à flots sur mes joues, s'accrochent à mes cils et m'aveuglent. En dépit de ses blessures, l'inconnu ne bronche absolument pas. Je ne peux toujours pas voir son visage, caché dans la lumière.

Je sanglote bruyamment. Ma respiration est hachée par mes pleurs. Je tiens encore la main sanguinolente de l'inconnu.

- T'es qui... je parviens à murmurer entre deux hoquets.

 Nous restons immobiles un long moment ainsi. Moi pleurant toute l'eau de mon corps et lui, toujours silencieux.

Je me recroqueville en position fœtale. Je veux partir. Être partout sauf ici.

S'il vous plaît. Qui que vous soyez, si vous m'entendez, faites-moi sortir.

Je veux partir.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant