Chapitre 27

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Alors, comme dans mes rêves quotidiens avec la main, l'univers se tord, s'écroule, se tend, tourne sur lui-même comme de l'eau entraînée dans le siphon d'un lavabo. Le taureau aux cornes sanglantes s'efface au milieu du chaos que mon ordre a engendré. Cette tornade m'emporte aussi et me secoue dans tous les sens mais contrairement aux cauchemars que je fais tous les jours, je ne suis pas paniquée. Je suis même soulagée. Cette horreur est enfin finie. J'ai affronté mes cauchemars et je vais sortir.

Des images surgissent de temps en temps dans le tourbillon. Des images de main... de la main. Celle-ci surgit soudainement de l'ouragan et tend ses longs doigts maigres vers mon visage. Sa bague d'acier scintille au milieu des nuances de gris qui composent l'environnement où je suis.

Je la regarde avec un calme désinvolte. Je sais que je suis plus forte qu'elle. Je vais regagner la réalité, je me sens partir de cet endroit. J'ai gagné.

Progressivement, la brume chaotique se dissout. Des rayons de lumière percent à travers les trous créés. Je quitte l'obscurité des rêves pour regagner la lumière du monde .Et enfin, je vois le décor autour de moi et c'est...

La rue.

C'est précisément la grande avenue où se déroulait la pride à laquelle j'étais avant de partir au pays des rêves. Mais ici, elle est tout à fait déserte. Il y a juste beaucoup de déchets qui jonchent le bitume. Des pancartes en carton ramolli par la pluie visiblement récemment tombée, des écrits colorés qui bavent sur ces panneaux, de la bouillie de papier mouillé. Il n'y a plus que les vestiges de la manifestation. Rien ne laisse deviner l'existence de la terrible bataille qui s'y est déroulée.

Moi, je suis debout au milieu de la rue vide. Maintenant que je suis rentrée dans notre monde, que faire ? Je ne sais pas quel jour nous sommes, quelle heure. Faut-il que j'aille à l'université ? Dois-je rentrer chez moi ? Faire les courses ? Est-ce qu'il reste du pain dans le placard de mon appartement ? Pendant que je cogite, je ne prête plus attention à l'environnement qui m'entoure. Jusqu'à ce que j'entende :

- Swan ?

Cette voix. Oh putain, cette voix. Appartient-elle bien à la personne à laquelle je pense ?

Oh oui.

C'est lui.

Mon ami.

Mon frère.

Il est juste derrière moi. Je ne me suis pas encore retournée. Je sens déjà son souffle dans ma nuque, son odeur qui parvient discrètement à mon nez.

D'un coup, je pivote sur mon pied droit et fonce en avant sans relever la tête. Je m'écrase alors contre un corps large, chaud et confortable, tel un bon oreiller qu'on aurait laissé contre une cheminée. Je serre alors cet oreiller du plus fort que je peux, comme si je voulais fusionner avec lui. Son odeur si caractéristique pénètre de plein fouet mes narines. Une odeur sucrée tellement appétissante que j'en mangerais. Je colle mon visage contre sa clavicule et respire fort, à la manière d'un drogué prenant sa dose. Ses grandes mains aux doigts épais retiennent fermement mais délicatement mon dos. Plus rien ne nous séparera. Moi et lui.

Moi et Gabriel.

Je fonds dans ses bras. Je fonds en larmes. Je bafouille tout ce que j'ai envie de lui dire, sans aucune logique dans mes phrases qui se noient dans mes sanglots. Il ne comprend rien. Mais ce n'est pas grave. Nous sommes ensemble. Moi qui étais perdue seule dans mes pensées, me revoilà avec quelqu'un d'autre, enfin.

- Mais où étais-tu ? murmure-t-il à mon oreille.

Que lui répondre ?

- Je t'expliquerai, je réponds entre deux reniflements.

Il ne cherche pas à en savoir davantage. Il me serre alors plus fort. J'avais si froid et je me sens si bien contre lui. Son cœur bat contre ma joue. Quelle mélodie apaisante. Mais... il bat un peu vite. Un peu trop vite.

Au bout de quelques minutes, Gabriel redresse sa tête. Je fais de même, pour enfin le regarder. C'est bien lui. Il sourit de ses lèvres fines presque cachées dans sa barbe noire. Ses grandes dents percent sa bouche, si heureuse qu'elle s'ouvre d'émotion. Jamais je ne l'ai vu si heureux. Et ses yeux pétillent. Mais l'étincelle qui les allume est étrange. Je ne saurais dire pourquoi mais quelque chose dans son regard semble anormal.

Quand mes pupilles croisent les siennes, il sourit encore plus fort. Puis, je sens sa main droite quitter mon dos. Il la ramène alors devant nos deux visages. Et là, ses doigts moites s'approchent lentement de mes lèvres qui ont cessé de sourire. Il les pose dessus et les caresse délicatement. Je ne comprends pas. Jamais il n'aurait osé un contact aussi intime sans me demander. Peut-être a-t-il voulu mettre sa main sur ma joue et qu'il a mal visé ? Non. Il aurait retiré sa main tout de suite. Mais que fait-il ?

C'en est trop. Gentiment, je prends sa main et l'écarte de mon visage. Il a franchi les limites de notre relation.

- Tu fais quoi là ? je demande, peut-être un peu trop virulemment.

Il se stoppe. L'air confus, il s'excuse :

- Je... désolé.

Bon, cela s'arrête là. Pas de problème. Il ne s'est rien passé.

Pourtant, il revient directement après à la charge en posant sa main sur ma nuque et en la poussant doucement vers lui. C'est assez. Je plaque mes mains sur son torse et le repousse. Surpris, il me lâche et nous voilà à un mètre l'un de l'autre.

- Qu'est-ce que t'as ? je m'énerve. T'es pas comme d'habitude ! Tu ne me touches jamais là ! Pourquoi tu ne me demandes pas mon avis ?

Il ne répond rien et me fixe juste de son regard étrange. Bien qu'il ne sourie plus, ses yeux sont encore constellés de paillettes bizarres. Je les ai déjà vues, ces paillettes. Et enfin, je me rappelle où je les ai vues. Et c'est juste terrifiant. Je viens de comprendre.

Ces paillettes animaient les yeux du taureau amoureux.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant