Chapitre 16

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- Je ne suis pas dans la réalité, n'est-ce pas ?

Elle sourit un peu plus.

- Effectivement, dit-elle laconiquement.

Je réfléchis encore un peu. Maintenant, mon hypothèse me semble évidente. Je continue dans ma démarche de pensée, un peu hésitante :

- Depuis que je suis dans ce néant, tout ce que j'ai pensé s'est... matérialisé. Tu m'avais demandé de penser à un endroit. Je me suis retrouvée... dans cet endroit. Et tout semblait si réel...

Je fais les cent pas et marche aléatoirement dans l'obscurité. J'ai ce réflexe lorsque je réfléchis, j'ai la mémoire du mouvement.

- Et puis, j'ai commencé à avoir cette musique dans la tête. Et elle s'est jouée... toute seule !

Plus je parle, plus la fille sourit. Je m'approche du but. Je brûle. Je tremble de me savoir si près de la vérité. D'une voix emplie de trémolos, je murmure presque :

- Est-ce que je suis... dans ma tête ?

La fille se retrouve soudain secouée d'un petit rire. Elle souffle un peu du nez. J'ai dû dire une bêtise. Je reformule :

- Est-ce que cet endroit représente mes pensées, mes idées, ce qu'il y a dans ma tête ?

Ses lèvres sont tendues à leur paroxysme. Elle hoche la tête quasi imperceptiblement. Lentement, elle hausse les épaules et écarte les bras pour dire, comme si elle allait entamer un long discours :

- Bienvenue dans le pays des rêves !

Autour de nous se dessine alors un paysage. On dirait qu'un dessinateur et son crayon, tous deux invisibles, esquissent en temps réel le croquis d'un endroit tout droit sorti de la plus folle des imaginations. Seuls les contours sont réalisés, aucune couleur ne remplit aucun objet du décor. Le dessin est blanc sur fond noir.

Le paysage réalisé en direct sous mes yeux est incroyablement riche. De l'herbe en noir et blanc pousse sous mes pieds. Derrière moi poussent d'immenses montagnes dont les sommets enneigés vont chatouiller les cieux noirs. A ma droite, je vois une forêt aux arbres sombres qui se dresse. A ma gauche, une rivière déverse ses flots incolores dans l'océan qui s'étend devant moi. Cet océan remplit le paysage jusqu'à l'horizon. Il semble infini. Mon pays des rêves est magnifique.

- C'est justement parce que c'est toi qui l'as créé qu'il est magnifique, me dit la fille comme si elle avait lu dans mes pensées.

- Comment ça, c'est moi qui l'ai créé ? demandé-je, interloquée.

- Je te le répète, tu es au pays de tes rêves. Par conséquent, ici règne ta pensée, démiurge de ce monde. C'est cette pensée qui a tout fondé. C'est toi qui, inconsciemment, as tout créé. Et cette pensée, c'est moi.

Je lève à nouveau mon sourcil gauche. J'avais cru tout comprendre mais il me reste visiblement pas mal de choses à apprendre. La fille semble voir que je ne comprends rien et explique :

- La pensée est une notion tout à fait abstraite. Or, tu es ici pour interagir avec elle. Alors, elle se matérialise sous la forme qu'elle veut. J'aurais pu être n'importe quoi.

Soudain, le visage de ma "pensée" se déforme et prend des proportions grotesques. Ses joues s'étendent, son nez se ratatine. Les parties de son corps se meuvent ainsi quelques secondes pour se figer enfin. Désormais, celle qui ressemblait à Camille est devenue toute petite, s'est posée sur quatre pattes et sa longue langue râpeuse lèche son minuscule nez devenu museau. De beaux poils tous doux recouvrent intégralement son petit corps dodu.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant