Chapitre 10

12 1 8
                                    

Soudain, un objet fumant est lancé dans les airs. Une bombe lacrymogène. Le signal du début de la bataille. La cohorte des homophobes se jette sur nous. La foule se déchaîne, s'agite dans tous les sens. Je suis secouée comme dans un lave-linge, on me pousse, on me broie. Je me rappelle que pour survivre dans de pareils mouvements de foule, il faut replier ses bras sur sa poitrine. Cela permet pour nos poumons d'avoir de la place pour se gonfler et ainsi ne pas mourir d'asphyxie si on est écrasé. Je croise donc les bras et fais tout mon possible pour ne pas les bouger.

Autour de moi, c'est la panique du côté des LGBTQ+. Tous les moyens sont bons pour les homophobes: ils n'hésitent pas à frapper, pousser, insulter, sans prendre en compte l'âge ou la condition physique de leurs opposants. Des grands-parents ne parviennent pas à suivre le rythme de la course de la foule, de jeunes enfants pleurent, perdus au milieu de cette bataille. C'est horrible. Je suis en plein cauchemar, ce n'est pas possible. Les gens sont donc si barbares?

La musique et les chants se sont tus, laissant place à des insultes, des pleurs, des slogans anti-LGBT mais surtout des cris. Des cris de terreur, des cris de douleur, des cris de colère. Des cris insupportables, insoutenables. C'était une manifestation gaie, festive, pacifique, c'est devenu une bataille sans merci, sinistre, sanglante. J'exagère à peine. Je sens mes pieds buter contre des corps tombés sur les pavés qui ne se relèveront pas. Des dizaines de gens tombent sous les coups de panneaux. Je vois déjà cet affrontement faire la une des journaux, avec des photos choc, des chiffres abominables écrits en gros et des témoignages poignants des victimes.

Les cœurs arc-en-ciel deviennent rouges de sang.

Et moi je suis là, au milieu de cette guerre en tant que touriste. Je regarde toutes les atrocités qu'exécutent les homophobes autour de moi sans pouvoir faire quoi que ce soit. J'aimerais aider mais ces horreurs m'attaquent de tous les côtés. Je n'arrive pas à faire un choix entre courir vers cette vieille dame qui vient de s'écrouler à ma droite, ce petit garçon en panique qui appelle désespérément sa maman en faisant couler des torrents de larmes à ma droite ou cet homme qui se fait tabasser devant moi. Et encore, ceci est une liste non exhaustive de ce qui se passe autour de moi.

Finalement, je lève la tête vers le ciel. Même le soleil qui illuminait la parade s'est caché derrière les nuages, choqué par ce qu'il voit en contrebas. Les cumulus ont tout rendu gris. La seule couleur que je peux discerner à part celle-ci c'est le rouge. Le rouge de l'hémoglobine qui coule du visage des manifestants. Mais je vois autre chose dans ce firmament sans couleur.

Un point. Un point qui grossit, qui s'approche vers moi, à toute vitesse. Et moi, sans savoir pourquoi, je reste plantée là à fixer ce point. C'est sûrement parce que c'est la seule chose que je peux actuellement regarder sans dégoût.

Puis, je remarque que ce point fonce vers moi en dégageant une importante fumée blanche. Et je comprends ce que c'est. Une autre bombe lacrymogène. D'après mes calculs, elle va tomber parfaitement sur moi. Je constate cela dans une étrange tranquillité. Peut-être que ce coup à la tête m'a un peu endormie. Toujours est-il que je suis là, les pieds fixés au sol, à attendre cette bombe qui fend les airs dans ma direction. Je suis immobile au milieu de l'agitation générale. Tout le monde se bat pendant que je reste passive, prête à recevoir cette bombe en plein visage.

Le missile fumant finit par s'écraser au sol juste devant mes pieds. Je me suis trompée dans mes calculs. La bombe délivre soudain toute sa fumée toxique à des mètres autour de moi. Toujours debout au foyer de l'explosion, je suis aveuglée par cette épaisse brume blanche qui agresse violemment mes yeux. J'ai l'impression qu'ils fondent, que de l'acide les ronge. Cet acide gazeux irrite aussi profondément mes voies respiratoires. J'ai l'impression qu'il les troue, que l'air n'arrive plus jusqu'à mes bronches.

Le seul point positif à tout cela, c'est qu'en raison de cette fumée opaque, je ne vois plus toutes les horreurs que les homophobes perpétuent autour de moi.

Je me sens faible, terriblement faible. Le coup à ma tempe m'a un peu sonnée. Mon front saigne toujours plus et je sens ma blessure qui chauffe, s'irrite, palpite, à cause de la fumée lacrymogène. Mais en plus de cela, je subis mon début d'asphyxie. L'air ne passe plus dans ma trachée. Mes yeux vont exploser. Je veux tousser, crier mais mes poumons n'ont même plus assez d'air pour faire quoi que ce soit. Mes jambes semblent être faites de papier tellement j'ai l'impression qu'elles vont flancher sous mon poids d'un moment à un autre. Chaque cellule de mon corps n'est que douleur.

Enfin, après un laps de temps qui paraît terriblement long, la fumée semble s'estomper.

Je suis encore extrêmement mal. Je ne peux toujours pas ouvrir les yeux. Je suis essoufflée. Mais la fumée part petit à petit et je me sens un peu mieux au fur et à mesure que s'écoule le temps.

Finalement, au bout de plusieurs minutes, je peux enfin ouvrir les yeux. Le monde est flou autour de moi. Je perçois cependant le mouvement des autres manifestants. Il est toujours aussi chaotique. Tout le monde court partout, comme tout à l'heure. Les bruits me semblent étouffés, comme si j'avais mis des bouchons de cire dans mes oreilles. Je ne sens même plus le contact des gens qui me bousculent. On dirait que je n'existe plus à leurs yeux. J'ai l'impression d'être isolée du monde, que celui-ci s'agite devant moi sans que je ne puisse participer à ses mouvements. Je ne suis qu'une spectatrice. Je suis le seul point immobile au milieu de cette tempête humaine. Tout n'est que mouvement et semble aller plus vite.

Tout. Sauf...

________________________________________________________

Voilà, c'est terminé pour aujourd'hui!

Ha ha, j'adore ce genre de fin.

A plus!

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant