La vie rêvée

Chapitre 4

Je cours. Mes pieds butent contre les pavés mal posés du trottoir. Mon sac accroché à mes épaules se soulève et s'abaisse selon le rythme de ma course, frappant violemment mon dos à intervalles réguliers. Je ne regarde plus la rue. Je la connais déjà. Les rares passants se retournent quand je passe, se demandant qui est cette fille qui sprinte au milieu de cette rue comme dans un film d'action.

Enfin, je vois le portail de l'établissement. Je sors mon badge en panique et dois m'y prendre plusieurs fois avant que la porte daigne s'ouvrir. Je trottine dans le couloir et vois au loin les gens de mon cours entrer dans l'amphithéâtre. Bon, ça va, je ne suis pas trop en retard. 

J'entre dans cette salle gigantesque qu'est l'amphithéâtre. Je repère rapidement Gabriel qui s'installe à une table. Je monte les escaliers et me faufile maladroitement entre les autres étudiants en m'excusant dès que je touche quelqu'un. Je pose mon sac sous la table et dis fièrement à Gabriel:

- Tu vois, on est pas en retard!  

Il ne me répond pas et se contente de lever les yeux vers moi, me regardant quelques secondes à travers ses épais sourcils broussailleux. Je me tais et sors mes affaires. 

- Bonjour à tous!

Le professeur vient d'arriver dans l'amphithéâtre. C'est un petit monsieur d'une cinquantaine d'années portant d'épaisses lunettes rondes qui reposent sur ses grosses joues rebondies. La calvitie a rongé son crâne depuis de nombreuses années déjà. Une fois qu'il a sorti maladroitement ses affaires sur son grand bureau, il déclare de sa voix un peu trop aiguë:

- Bonjour, le cours va pouvoir commencer. Récapitulons: la dernière fois, nous avons vu...

Le professeur démarre son long monologue. Gabriel et moi sommes en fac d'archéologie, et ce prof enseigne les différents textes mythologiques. C'est passionnant mais ce matin, je n'ai pas la tête à cela. Je ne pense qu'à cette curieuse coïncidence. Cette bague, similaire en tous points à celle de mes rêves que je retrouve dans cette vitrine. Je ne l'avais même pas remarquée avant. Cette bague me hante, je n'arrive pas à penser à autre chose. Je suis immobile, en train de fixer sans vraiment regarder le diaporama que le professeur peine à afficher. Soudain, une main se pose lourdement sur mon épaule, éclatant mes bulles de pensées brusquement.

- Salut Swan! Dis-moi... 

Je bondis sur ma chaise dans un grand fracas. Heureusement, je n'ai pas crié. Le professeur ne m'a pas remarquée. La main qui m'a fait sursauter appartient à Coline, une fille du même cours que moi.

- Bordel! Tu m'as fait peur! je m'énerve en chuchotant.

- Ah? Désolée. Mais je voulais te demander, concernant mon message...

- Ton message, hésité-je, ton message... ah oui! Euh... je t'envoie le cours d'hier ce soir? Ca te va?

- Oui, merci! me dit-elle dans un sourire un peu trop exagéré.

Et, sans que je ne lui ai rien demandé, elle frotte sa main contre mon omoplate en me murmurant puis en faisant un clin d'œil:

- T'es la meilleure!

- Euh... merci, je bafouille, un peu gênée.

Elle est bien gentille, Coline, mais c'est le genre de personne qui se repose trop sur les autres. J'ai l'impression de travailler autant pour l'aider que pour moi. Elle ne prend même plus ses cours, ni ses devoirs. Elle se considère même comme ma meilleure amie alors que je la considère juste comme ma voisine d'amphithéâtre. Je décide de me reconcentrer sur le cours.

- ... une des grandes thématiques racontées par quasiment tous les récits religieux est celle autour du rêve, déclame le professeur.

Brusquement, je lève la tête. Comme si le mot "rêve" avait déclenché un déclic dans mon esprit m'ordonnant d'écouter le plus attentivement possible ce qu'il se passe. Je me dresse de toute ma hauteur, me tends vers l'avant et replace mes mèches rebelles derrière mes oreilles pour bien tout voir. Je ne vois même plus Gabriel que je devine affalé sur sa table, somnolant à moitié. C'est comme si mon champ de vision s'est resserré de manière à ce que je ne voie plus que le professeur et son diaporama couvrant l'immense mur blanc derrière lui.