J'ouvre les yeux.
Le noir.
La lumière soudaine.
L'ombre qui s'approche.
La main qui me caresse.
Cette bague qui luit dans la clarté.
L'euphorie qui m'envahit.
La tête qui s'approche.
Mes doigts qui touchent ce visage invisible, qui disparaît aussitôt.
Le chaos autour de moi.
J'ouvre enfin les yeux.
Je suis allongée dans mon lit, en sueur. Encore un matin. Un matin comme tous ceux que je vis depuis des mois. Un matin de questionnements, de doutes. Pourquoi ce rêve ? Ce rêve, toujours pareil... Il doit bien vouloir dire quelque chose !
Préoccupée, j'arrache quelques poils à mes sourcils à l'aide de mes ongles. C'est un tic que j'ai depuis des années que j'exécute lorsque je suis stressée. Je n'ai jamais réussi à m'en défaire, bien que ma mère l'ait remarqué et m'ait souvent grondée à ce sujet. Parfois j'ai cru en être délivrée durablement mais cette impression de délivrance ne durait que quelques semaines.
Je regarde mes doigts et vois que j'ai déjà arraché des dizaines de poils. Paniquée, je me précipite dans ma salle de bain devant mon miroir pour voir les dégâts que j'ai causés. Encore un peu endormie, je dois m'appuyer sur le lavabo pour rester debout. Voûtée au-dessus du lavabo, je lève ma tête lourde et observe la personne devant moi.
Je vois une fille ou une femme, je ne sais pas trop. Elle a bien des organes de femme mais on peut lire dans ses yeux marron foncé, presque noirs, que c'est une âme d'enfant qu'abrite ce corps courbé au-dessus de l'évier. Son visage est sans angle, on dirait une sphère presque parfaite. Des cheveux châtains très emmêlés partent du haut de cette tête; démêlés, ils arrivent vers mi-cou. Au milieu de ce visage est planté un nez plutôt conséquent, un nez très masculin, entre deux yeux sombres, eux aussi pas très féminins, au-dessus d'une bouche aux lèvres extrêmement fines, plutôt masculines aussi, le tout dans un corps de femme. Les yeux de cette personne sont, on l'a dit, aussi sombres que du terreau. Mais bien que leur iris soit ténébreux comme la nuit, ils sont comme couverts de paillettes et de reflets scintillants que ses émotions font danser. Quand ses lèvres sourient, elles creusent des petites fossettes dans ses joues rebondies encore couvertes de boutons d'acné qui témoignent que l'adolescence n'a pas encore quitté le terrain. Je prête davantage attention aux sourcils de cette personne du miroir: ils sont comme je le craignais, mutilés, incomplets, troués.
Quand je vois cela, j'ai soudain terriblement honte. Je cède si facilement à ce tic qui me détruit le regard. Ce tic que personne ne connaît, ce tic bizarre. Mes doigts se crispent sur la faïence du lavabo et blanchissent sous l'effet de la pression.
Et puis, soudain, je m'arrête et me relâche. Je me pose trop de questions. Ça me stresse, ça me fait du mal. Pourquoi me prendre la tête sur un rêve qui n'a sans doute aucun sens? Il faut que je me calme.
Je tourne la tête et vois l'horloge accrochée au mur qui affiche 8h05. Je suis encore en retard. Mais je n'ai plus l'énergie de courir. Je suis fatiguée de poursuivre le temps. Je me prépare et descends les escaliers pour arriver devant Gabriel nonchalamment. Celui-ci me regarde, les lèvres tellement pincées qu'elle semblent avoir disparu dans sa barbe. Je sors et lâche un timide:
- Hey, ça va Gabriel ?
Mais contrairement aux autres matins, son regard est encore plus noir. Il me fixe quelques secondes qui me semblent être une éternité et crie enfin dans une voix que je ne lui connais pas:
- Swan, t'es chiante, là ! Il est déjà 8h10 ! On va arriver vraiment en retard, là ! J'ai été assez patient mais là t'exagères ! Comment ça se fait que tu sors toujours de chez toi en retard ?
Je ne l'ai jamais connu comme cela. Sa brusque colère m'effraie. J'ai l'impression de parler à un inconnu tellement la personne en face de moi ne lui ressemble pas. J'ai peur de lui. Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine, comme si Gabriel l'écrasait de sa main. Je suis soudain pétrifiée, je ne peux plus bouger la moindre phalange. Mais l'être de colère devant moi se remétamorphose tout à coup en Gabriel, mon ami d'adolescence. Radouci, il dit d'une voix calme:
- Hey... pleure pas !
Je compte lui répondre que je ne pleure absolument pas mais en m'essuyant la joue par réflexe, je me rends compte que c'est vrai. Je n'ai pas le temps de lui répondre avant qu'il ne se confonde en excuses :
- Pardon... je ne voulais pas te faire de mal. Je me suis emporté, je suis sincèrement désolé.
- Non, c'est pas toi, arrivé-je enfin à dire dans mes sanglots. T'as raison, je fais pas d'efforts, c'est ma faute.
- Non mais c'est pas grave, hein ! Calme toi.
Nous commençons à marcher dans le silence le plus absolu. Même les oiseaux et les voitures me semblent davantage silencieux aujourd'hui. Je sèche mes larmes tant bien que mal. Personne n'ose parler. Après quelques minutes, Gabriel brise le silence de sa voix douce :
- Je m'excuse encore. C'est vrai que ça ne me ressemble pas du tout de me mettre en colère comme ça.
- Je te répète que c'est pas ta faute, je réponds sans pouvoir le regarder dans les yeux.
Depuis tout le temps où je connais Gabriel, je n'ai pleuré qu'une seule fois devant lui. Je ne m'autorise pas à pleurer devant mes amis. Ils me considèrent comme un remède à leurs pleurs, alors je dois être forte face à eux. Comment peut-on avoir confiance en la planche sur laquelle on flotte le jour où on se rend compte qu'elle fissure ?
- Est-ce que t'as un problème ? me demande-t-il soudain. Un problème qui t'empêcherait de partir à l'heure ?
Sacré Gabriel. J'ai rarement rencontré de personnes plus bienveillantes. Lui est une bonne planche qui ne risque pas de se fendre.
J'hésite à lui répondre. C'est un peu léger, comme excuse, un rêve qu'on fait toutes les nuits. Jamais il ne l'acceptera. Pourtant, on se dit tout. Qu'ai-je à perdre ? Peut-être me comprendra-t-il.
- Ça fait plusieurs mois que... toutes les nuits...
Je bafouille. Mon élan s'est coupé. Pourtant, je vois au travers de mon brouillard de larmes Gabriel me soutenir du regard. Je souffle un grand coup et reprends :
- Ça fait plusieurs mois que toutes les nuits, je fais un rêve. Le même rêve. Un rêve bizarre.
Gabriel sourit et dit en tapant dans ses mains :
- Ouh ! Dis-moi tout...
Il me regarde en plissant les yeux et en exagérant son sourire. Je lis dans ses pensées :
- Ah ! Mais pas ça, gros dégueulasse ! Pas ce genre de rêves ! Enfin...
- Enfin quoi ?
Il me fait rire. Il ne pense qu'à ça, ne parle que de ça, et ce depuis qu'on a douze ans. Mais bon... moi aussi, j'avoue.
- Allez, raconte ! Et n'omets aucun détail, m'encourage-t-il dans un clin d'œil.
Je lui adresse un timide sourire et commence :
- En gros...
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Voilà pour cette fois!
J'espère que ça vous plaît tout autant!
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La vie rêvée
ParanormalToutes les nuits depuis quelques mois, Swan fait le même rêve, encore et encore. Et tous les matins, elle se réveille avec la même déception et les mêmes questions. Mais cela, elle n'en a pas grand-chose à faire. Du moins, jusqu'au jour où... je n'...