Chapitre 11

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Sauf quelqu'un.

Au milieu de cette tornade de corps il n'y a que moi d'immobile. Moi et une sombre silhouette. Je la distingue à peine tellement elle est loin. Des dizaines de gens passent devant pourtant je ne vois qu'elle. À cette distance, on dirait juste un bâton noir, seul point fixe parmi tous ces électrons libres. Tellement insignifiant, pourtant c'est la seule chose que je remarque.

J'ai l'impression de le fixer pendant des heures pourtant, à peine une seconde après avoir remarqué sa présence, la silhouette s'évapore d'un coup derrière une personne qui passe en courant.

Je dois rêver. C'est ce coup à la tête qui me fait voir des hallucinations.

Mais je n'ai pas le temps de me convaincre de cela car encore une seconde après, je retrouve cette même silhouette à un autre endroit. Elle me semble cependant un peu plus proche. Non, je ne pense pas rêver, ce n'est pas possible, cette apparition paraît tellement... réelle.

Pourtant elle vient de disparaître à nouveau, aussi vite qu'elle est venue.

Là, je commence à être embrouillée. Perdue, je secoue la tête mais un horrible mal de crâne me vrille alors les neurones. Je me tourne un peu sur ma droite et vois cette silhouette, encore un peu plus proche. La forme noire est encore loin mais je sens toutefois qu'elle me fixe intensément. Je suis maintenant persuadée que cette apparition n'est pas le fruit de mon imagination et commence donc à angoisser. Je me crois dans un film d'horreur, comme si un screamer me traquait pour surgir au moment où je m'y attends le moins. Cette personne est aussi immobile qu'une statue pourtant elle vient encore de disparaître et de réapparaître quelques dizaines de mètres plus loin, se rapprochant petit à petit de moi.

À présent, la silhouette est suffisamment proche pour que je puisse bien l'observer. Hélas, elle ne m'en donne pas le temps. C'est une personne visiblement très maigre, les mains dans les poches, les pieds comme fixés au sol. On dirait qu'elle m'attend. C'est pourtant elle qui se rapproche.

Elle disparaît à nouveau. Puis réapparaît encore mais cette fois-ci, elle semble vraiment proche, elle doit être à moins de dix mètres. Je maintiens mon regard vers ce sombre personnage le plus possible. Je veux déterminer un maximum d'informations sur cette personne. Pourtant, je ne parviens à voir aucun détail sur son visage, ni sur le reste de son corps. C'est comme si cet individu était plongé dans l'ombre alors que la rue est baignée d'une intense lumière. Cela paraît n'être qu'une silhouette en deux dimensions entièrement peinte de noir. Ma vision floue n'arrange pas non plus les choses. Je n'arrive à discerner aucun élément de sa face, ni à estimer sa taille, ni même savoir si j'ai affaire à un homme ou une femme.

Notre échange de regard semble être un peu plus long que les précédents. Cet énergumène ne semble pas décidé à s'évaporer de nouveau. La peur me vrille les entrailles. J'ai la sensation d'être une proie observée par un prédateur aux mauvaises intentions. Mon temps doit être compté avant qu'il ne m'achève. Mon cœur recommence à frapper mes côtes avec violence. Il me somme de prendre la fuite mais je suis incapable d'effectuer le moindre mouvement. Même respirer est difficile.

Soudain, l'inconnu disparaît encore une fois. Je cherche autour de moi où il aurait bien pu aller. Je tourne lentement sur moi-même et ne trouve rien. J'ai mal cherché, je pense. Je recommence en faisant plus attention. Toujours rien. Ma vue semble cependant s'améliorer un peu. Je fais un troisième tour. Rien à faire, la silhouette a disparu définitivement.

Je soupire de soulagement. Ce n'était donc qu'une invention de mon cerveau. Je me disais bien que c'était n'importe quoi. Je me sens tellement plus sereine, dorénavant. Je vais fuir cette manifestation et retrouver Gabriel, il doit s'inquiéter.

Tout à coup, je sens que quelqu'un agrippe violemment mon bras. Je pousse un cri de surprise qui ne s'entend pas en raison de la cohue qui continue autour de moi. C'est la silhouette que vient de disparaître, c'est sûr. Elle m'a traquée et passe à l'attaque. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter sa haine mais elle veut se venger. La main de l'inconnu écrase mon biceps de toutes ses forces. Le contact de sa peau contre la mienne me brûle. On dirait que mon bras a été placé dans un étau incandescent. Cette main est une serre, cet inconnu un rapace et je ne suis qu'un petit mulot sur lequel il a jeté son dévolu. Mon soulagement n'aura duré qu'à peine quelques secondes. La panique me perfore de partout à nouveau.

Au milieu de la sensation de brûlure que me procure cette main, je sens sur ma peau comme une toute petite surface de fraîcheur, minuscule, comme un petit morceau de métal. Je crois comprendre à qui appartient cette main. Cette pensée arrive brusquement, chasse toutes les autres et me fait l'effet d'un poignard qu'on m'enfoncerait dans les intestins. Lentement, très lentement, je tourne la tête vers cette main qui broie mon bras et pose mon regard dessus. Bien que je m'attendais à ce que j'allais découvrir, je sens mes organes imploser au moment où je vois cette fameuse bague d'acier barrée d'une bande noire qui décore l'index de la main qui me maintient prisonnière.

Ce...

C... 

C'est parfaitement impossible.

Comment? Je n'ai pas les mots. 

Cette main que je croyais fictive est là, dans la réalité. Je pourrais me pincer, me gifler, m'infliger les pires douleurs, elle serait toujours là. Elle... existe.

Et soudain, elle tire violemment sur mon bras, m'entraînant avec elle.

Je traverse la foule sans même sentir le contact avec les manifestants toujours occupés dans leur combat. Je veux crier, appeler à l'aide. J'ai beau sentir l'air qui jaillit avec violence de ma gorge, je n'entends aucun son. Mes cordes vocales sont muettes.

J'essaye de résister à mon agresseur mais il est trop fort. Il me traîne sur le sol pavé. La pression qu'il exerce sur mon bras est tellement forte que j'ai la sensation de me faire lacérer la chair.

Je comprends que je ne pourrai pas me défaire de son emprise alors je décide de me tourner afin de voir à qui j'ai affaire. Je veux voir à qui appartient cette main qui me harcèle en rêve et maintenant aussi dans la réalité.

Mon dos se contorsionne afin de regarder derrière moi. Malheureusement, je ne vois que les gens en panique qui continuent de courir partout. Le bout du bras de mon kidnappeur disparaît dans la foule. 

Je suis donc actuellement en train de me faire capturer par un inconnu dont je rêve chaque nuit, au milieu d'une manifestation qui a dégénéré, le front en sang. Je la sentais mal partir cette journée.

Je suis terrifiée. Qu'est-ce que cet individu veut de moi? Serai-je encore en vie à la fin de la journée?

Enfin, nous quittons le champ de bataille. Nous nous approchons du port de la ville. Je ne pense plus à me retourner. Je contemple avec de grands yeux vides pourtant remplis de larmes la foule agitée qui s'éloigne progressivement de moi. Jamais je n'aurais pensé dire cela aujourd'hui mais je me sentais bien plus en sécurité au milieu de cette manifestation que seule avec ce type.

Je ne remarque même pas que nous fonçons droit vers le bord du ponton qui donne droit sur le fleuve. Je suis trop occupée à observer la scène qui se déroule désormais très loin de moi.

Au moment où je me rends compte que nous sommes très proches de l'eau, il est trop tard. 

Nous avons sauté.

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Et voici!

J'ai mis un peu plus longtemps à écrire ce chapitre parce que nous entrons dans la partie intéressante de l'histoire...

A plus!

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant