Chapitre 15

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Je suis toujours en boule, à serrer la main de l'inconnu. Je me noie dans mes pleurs. Il faut que je me calme. Quand le monde semble m'échapper, quand je perds le contrôle, quand je sens que je vais exploser sous la pression que je me mets, je joue dans ma tête une chanson. Je commence alors à murmurer les paroles d'une de mes chansons préférées.

Is this the real life? Is this just fantasy?

Caught in a land side, no escape from reality.

Ah, c'est drôle, les paroles semblent correspondre avec ce que je vis. C'est la magie de la musique. Elle retranscrit simplement nos vies et nos histoires mais cela nous apaise quand même.

Open your eyes, look up to the skies and see...

Comme si j'étais synchronisée à la musique que j'ai dans la tête, j'ouvre tout à coup les yeux et regarde en l'air. Mes larmes se sont un peu taries et je peux enfin voir un peu plus clair. Et encore une fois, je suis surprise par ce que je regarde. Je ne suis plus aveuglée par le soleil éclatant. Je ne ressens plus la chaleur de l'été. Je ne sens plus l'herbe brûlée griffer mes pieds.

I'm just a poor boy, I need no sympathy.

Because I'm easy come, easy go, little high, little low.

Je suis de retour dans le néant. Je suis assise au milieu de l'obscurité. Mes mains tenaient celle de l'inconnu à la bague mais maintenant, elles serrent du vide. Je suis à nouveau seule.

Je souffle un grand coup. Rien ne sert de paniquer. Car de toute manière, le vent souffle et n'a plus d'importance pour moi.

Anyway, the wind blows, doesn't really matter to me...

Enfin, le vent ne souffle pas puisqu'il n'y en a pas. Mais ce sont mes pensées qui collent à la chanson que j'ai en tête.

Mon cœur a enfin retrouvé un rythme normal, je suis enfin détendue, l'angoisse tapie au fond de mon ventre s'est enfin endormie. Je suis absorbée par les paroles que je chantonne. Je reprends mon souffle pour dire les derniers mots avant la fameuse mélodie au piano. Cette mélodie que tout le monde a déjà entendue. Tout le monde a déjà vibré, frissonné, lâché une petite larme en l'écoutant.

La poitrine remplie de sérénité, à présent, j'expire :

To me...

Tout à coup, je sursaute. Mon cœur bondit et manque de trouer ma cage thoracique. Car à peine j'ai pensé à ces deux mots qu'un piano se met à jouer ce refrain. Mais ce n'est pas un piano imaginaire dont les notes fictives résonneraient seulement dans ma tête. J'entends les notes de musique. Comme si un pianiste jouait à peine quelques mètres derrière moi.

Mama... just killed a man... put a gun against his head, pulled my trigger now he's dead...

Je me retourne alors mais ne vois personne. Bien évidemment. Je suis perdue dans le néant. Pourquoi y aurait-il quelqu'un ? Pourtant, la mélodie continue à être exécutée. Je me mets debout et marche en tournant sur moi-même. Je cherche un quelconque objet qui pourrait diffuser cette musique. Mais il n'y a tout simplement rien.

Mama... life had just begun... but now I've gone and thrown it all away.

Étrange... ce son est si pur. Il semble tout droit sorti de mon imagination mais si réel à la fois.

Mamaaa, ooh oohoohooooh...

Didn't mean to make you cry, if I'm not back again this time tomorrow!

Ce vers me rappelle soudainement tous ceux que j'ai laissé dans la réalité. Gabriel, tous mes autres amis, mes compagnons d'athlétisme... et ma mère. Ma mère ainsi que toute ma famille. Cette pensée me soulève tout à coup un haut-le-cœur. Trop de mauvais souvenirs ressortent. Je chasse l'image de ma famille sans ménagement. Je ne veux pas en parler, je ne veux pas y penser.

Carry on, carry on, as if nothing really matters...

- Moi aussi j'adore cette chanson.

Je lève la tête. Camille vient de surgir de nulle part. Debout, elle me regarde de haut ses yeux qui ont l'air naturellement dédaigneux. Elle sourit. Son regard est un peu plus agréable quand ses lèvres se tendent.

- Oui, je sais, je réponds. T'écoutais que du Queen quand t'avais onze, douze ans.

- Je te le répète, dit-elle impassiblement, je ne suis pas Camille. Je n'aime pas cette chanson parce qu'elle l'aime mais parce que toi tu l'aimes.

Ça y est, ça recommence avec ces phrases absconses qui ne veulent rien dire. Je sens à nouveau l'exaspération qui monte lentement en rongeant petit à petit mes organes. Après quelques secondes de flottement, elle ouvre la bouche et dit, comme au ralenti:

- Je ne suis pas ta sœur.

Ta sœur.

Ta sœur.

Ta sœur.

Ces mots résonnent en moi comme un écho dans le vide de mon cœur. Ils activent soudain comme un bouton qui ordonne mon explosion.

- TA GUEULE !

Bien qu'inattendue, Camille ne semble absolument pas surprise par ma réaction. Elle me regarde toujours de ses yeux calmes et désinvoltes. Ce qui a le don de m'énerver encore plus.

- J'ai pas de sœur ! continué-je. 

- Si, tu en as une, répond-elle calmement.

- Certainement pas.

- Si, poursuit-elle en m'expliquant comme si j'étais une attardée. Tes parents ont eu deux filles : toi, et Camille. Qui est donc ta sœur.

- Wow, merci Einstein pour ces explications renversantes! dis-je en applaudissant ironiquement.

Elle m'énerve avec son insolence. Elle a beau ne pas être Camille, elle est tout aussi crispante.

- Cela dit, tu as raison sur un point, continué-je. Mes parents ont bien eu deux filles. Mais cette deuxième fille n'est pas ma sœur. Pour l'état civil oui, mais pas pour moi.

Elle m'observe en silence. Toujours immobile. Je me demande même si elle cligne des yeux.

- Je le sais, tout ça, dit-elle simplement.

Qu'est-ce que ça m'énerve. "Je sais", "je sais"... elle ne sait dire que ça.

- Je le sais très bien, poursuit-elle. Je sais très bien ce qui est arrivé. Je sais très bien que tu es partie, que Camille t'en a toujours voulu et que maintenant, vous...

- MAIS VAS-TU LA FERMER?! hurlé-je.

Nous nous tenons immobiles, moi essoufflée à cause de mes cris et elle stoïque comme une statue de marbre. Je la fixe d'un regard ardent. Étonnamment, elle baisse les yeux. Elle finit par dire doucement : 

- Tu as raison. Inutile de redire ce que nous savons déjà.

Ah tiens, première fois qu'elle dit quelque chose qui ne m'énerve pas. 

Sans que je ne m'en rende compte, la musique qui tournait toujours en arrière-plan achève d'émettre ses derniers mots, ses dernières notes.

Nothing really matters, anyone can see.

Nothing really matters... nothing really matters...

To me.

La fille devant moi me demande alors soudainement :

- Alors? As-tu compris où tu es?

Sa question me surprend. Mais, après quelques réflexions...

Des idées germent dans ma tête.

Ces idées semblent se battre entre elles jusqu'à ce qu'une seule ne survive.

J'analyse l'idée restante.

Je ne suis absolument pas sûre.

C'est un peu débile pour que ce soit cela.

Mais... 

Je pense commencer à comprendre.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant