Chapitre 23

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- J'ai une petite idée de par où commencer.

Je me tourne vers Matthieu qui vient de prononcer cette phrase. Je ris intérieurement. C'est quand même drôle de se dire que j'ai été amoureuse de lui. Il ne me semble clairement pas plus attirant qu'un autre mec, à l'heure actuelle. Enfin, c'est sûrement parce qu'il a douze ans.

- Où est-ce que tu veux l'emmener ? s'interroge Ulysse, dubitatif.

Le garçon blond hésite. Il semble peser le pour et le contre. Pourquoi ? Ce lieu est-il dangereux.

- Non... balbutie Ulysse. Ne me dis pas que... 

- Si, le coupe Matthieu.

- De quoi vous parlez ? je m'impatiente.

Les adolescents se retournent vers moi. Matthieu se lève, s'approche de moi et me dit calmement :

- Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il va falloir être courageuse. Suis-moi.

- Non. Attends, je réponds sèchement.

Je m'énerve. On dirait qu'il vient de parler à une fillette de sept ans, peureuse de la moindre mouche qui vole. 

- Dis-moi où tu m'emmènes !

- Je ne peux pas te le dire, continue-t-il de sa voix trop douce, comme s'il parlait à un attardé. Tu ne voudrais pas venir, sinon.

Il approche sa main de mon épaule. Je me lève brusquement en l'esquivant. 

- Tu te trompes sur moi, je marmonne entre mes dents. Je ne suis pas la princesse peureuse qui n'ose pas mettre un pied dehors. Je l'ai peut-être été à l'âge où on s'est connus mais je ne le suis plus. Ne me prends pas pour une incompétente. Je ne suis pas fragile.

Mes mots sonnent faux, encore une fois. C'est vrai que je ne peux rien sans Ulysse et Matthieu. Après tout, c'est bien ce dernier qui m'a sauvée. Mais je ne veux pas avoir cette image de belle au bois dormant pour qui les chevaliers bravent tous les dangers sans qu'elle ne bouge le petit doigt. Surtout si ces chevaliers sont encore des enfants.

- Alors, où va-t-on ? j'insiste une nouvelle fois.

Ulysse, qui a assisté avec attention à toute la scène, jette un regard à son acolyte qui se dresse devant moi du haut de son mètre cinquante. Un regard qui dit plus de choses qu'une simple phrase.

Matthieu soupire, avant de dire :

- Tu vas aller affronter tes cauchemars.

Sur le coup, sa phrase ne me fait rien. Je n'ai pas totalement compris ; comment cela, "affronter mes cauchemars" ? Ayant lu dans mes pensées, il me répond :

- Dans le fond de la forêt, il y a une grotte où sont renfermés les choses dont tu as cauchemardé. Si tu y vas, elles vont tous t'attaquer, les unes après les autres. Ça sera effrayant, ça sera éprouvant, ça sera traumatisant et peut-être que tu n'en ressortiras pas. Mais je pense que c'est un endroit clé pour ton enquête.

Je déglutis difficilement. Matthieu n'avait pas tout à fait tort quand il me disait que je n'aurais pas envie d'y aller. Et puis, quand j'y pense, je pourrais très bien rester vivre dans cette cabane avec les garçons. Ici, le repos que je recherche tant doit s'y trouver. Et là, au moins, je ne serais pas seule. Et je tiendrais compagnie aux gars. Les pauvres, ça fait six ans qu'ils se côtoient sans jamais avoir rencontré personne d'autre.

- Ben alors, commente Ulysse, je pensais que tu voulais jouer les aventurières, tu te dégonfles ?

Décidément, le fait que n'importe qui ici peut savoir à quoi je pense n'a pas que des avantages. Cet adolescent de quatorze ans ose se moquer de moi. Je m'énerve à nouveau.

- Ça va, ça va, je soupire. J'y vais. Ça ne doit pas être bien terrible.

- Tu sais, je plaisantais, se reprend le grand brun. C'est vraiment dangereux là où t'emmène Matthieu. N'essaie pas de jouer les durs.

Et soudain, je revois les dernières images de Camille qui s'enfonce dans les drus buissons noirs de la forêt, tirée par la main baguée. Cette main... quand je retrouverai son propriétaire, je compte bien lui cracher à la figure le concentré de souffrances, d'insomnies, de douleurs qu'elle m'inflige depuis tant de temps.

- Je m'en fous Ulysse, déclaré-avec détermination. J'irai. Elle a ma sœur.

Et pour une fois, les garçons n'ont rien à me redire. Ils restent silencieux. Peut-être admirent-ils mon courage. Ou peut-être, et c'est plus probable, se retiennent-ils de se moquer de mes nombreux changements d'avis.

Matthieu brise ce petit silence :

- Eh bien c'est par ici, mademoiselle.

Il s'incline exagérément en me désignant la porte par où nous sommes entrés dans la cabane. Alors je sors sur la terrasse, sans prendre la peine de saluer Ulysse. Matthieu traîne encore un peu dans le salon. J'entends sa voix d'enfant étouffée qui s'adresse à son copain :

- Tu es sûr de ne pas vouloir venir ?

- Je pense qu'il vaut mieux garder la cabane, répond la voix grave caractéristique. Si Swan a raison et que le pays est vraiment en danger, il faut que j'essaye d'affronter cela à mon échelle.

Silence.

- Et aussi, poursuit Ulysse, je n'ai vraiment pas envie de vous suivre là-dedans. Et je vous encombrerais plus qu'autre chose.

Puis je vois Matthieu ressortir de la cabane, un sourire amusé aux lèvres. C'est drôle de les voir complices ainsi. Dans la réalité, je crois qu'ils ne se connaissent même pas. Ils ont été dans le même collège une année, même pas dans la même classe. Pas sûr qu'ils se soient adressés un mot.

Tout en réfléchissant à tout cela, nous commençons à descendre la longue échelle. Il est encore temps de faire demi-tour. Mais il en est hors de question. Comment me verrait Ulysse ? Il n'hésiterait pas une seule seconde à se foutre de ma gueule.

- Combien de fois faudra-t-il te le répéter, rit Matthieu. Nous n'existons pas ! Jamais personne dans ce pays ne se moquera de toi.

Je soupire. C'est vrai qu'il a raison. Personne ne me jugera. Mais moi, je m'en voudrais tellement si jamais je n'ai pas le courage d'affronter tous les dangers pour ma sœur. 

Ma seule contrainte ici, c'est moi.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant