Chapitre 19

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Je souffle un grand coup pour évacuer la profonde angoisse que je viens de ressentir. J'inspire à fond afin de me doper à l'odeur iodée de l'océan. Que viens-je de vivre ? C'est passé si vite. Mon cœur ne parvient pas à se calmer. Je ferme les yeux et essaye de me rappeler de quelques vieilles techniques de relaxation.

Après quelques minutes, mon rythme cardiaque semble avoir un peu baissé. Le doux va-et-vient des vagues m'apaise. Je sens le vent caresser agréablement mon dos.

Mais soudain, j'ouvre les yeux. Je ne ferai pas prendre deux fois. A tous les coups, c'est encore cette main qui se cache dans mon dos. Tout à coup, je me contorsionne afin de regarder derrière ma hanche. Je vois alors un éclair beige fuser hors de mon champ de vision. Je tourne rapidement la tête et retrouve la main, immobile sur mon ventre. Ses longs doigts osseux se tordent du plaisir pervers de me caresser, tels des tentacules pâles. Et sur l'index de cette main à la peau blanche, je retrouve une nouvelle fois cette bague qui hante chacun de mes rêves.

J'empoigne alors violemment cette main qui, telle une araignée, rampe sur mon abdomen. Elle a de la force, la fourbe. La tarentule se débat et parvient à glisser entre mes paumes moites. Elle remonte le long de mon ventre inexorablement. Ses longues pattes se délectent du contact avec ma peau. Les doigts de cette main animale, bien que tellement fins que je pourrais les casser comme des brindilles, sont d'une force herculéenne. Cette mygale beige tend de toutes ses forces deux doigts, semblables à des mandibules s'approchant d'une proie. Elle vise avec une envie malsaine mon sein droit. Paniquée, sans savoir ce que je fais, je tente d'attraper la bague de cette main obsédée. Mes doigts pleins de sueur de stress glissent. Mais grâce à mes ongles, je parviens à saisir le bijou. Je le tire brusquement et ça y est, je le tiens entre mon pouce et mon index.

En l'espace de quelques secondes, je me rends compte que ce que je viens de faire ne sert certainement à rien. Ce n'est pas une bague qui fera la différence. Pourtant, après une dizaine de seco ndes de flottement, la main ralentit son élan, s'arrête enfin, comme mise sur pause. Et, soudain, elle semble se désagréger ; des petits bouts de peau se détachent et s'envolent, telles des feuilles mortes tombant d'un arbre en automne. Au début, ils s'envolaient deux par deux, trois par trois... mais bientôt, un véritable blizzard émane de ce bras, qui disparaît au milieu de milliers de flocons beiges. La main s'est dissoute. 

Il ne subsiste que la bague d'acier qui roule toujours entre mes doigts. Nerveuse, je la triture en la fixant. Que s'est-il passé ? Mais surtout, le Gardien ne m'a-t-il pas dit que je serais en sécurité dans cette vallée, et qu'aucune créature de mon esprit ne pouvait venir ?

- Effectivement, je t'avais dit ça.

Le Gardien, toujours sous les traits de Camille, vient de surgir dans mon dos sans crier gare. Je ne sursaute pas et continue de fixer impassiblement l'horizon. Il s'approche de moi par ma gauche et me regarde. Je finis par me tourner vers lui. J'essaie de cacher un maximum les expressions qui tentent de faire surface sur mon visage. Dissimulant les trémolos qui secouent ma voix, je demande : 

- Alors comment se fait-il que la main vient de... m'attaquer ?

Le Gardien reste impassible et me regarde de ses yeux qui ne cachent aucune âme. Puis il m'adresse cette réponse qui me glace le sang :

- Je n'en sais absolument rien.

La peur vient de m'empaler le torse. Comment ça le Gardien ne sait pas ? C'est lui qui a créé cet endroit, et il ignore la raison de ce qu'il vient de se passer ? 

- Comment ça tu n'en sais rien ? m'indigné-je.

- Ce n'était pas censé se passer comme ça... murmure-t-il.

- Quoi ? je m'écrie. Qu'est-ce qui n'était pas censé se passer comme ça ? Explique-moi !

- Ce n'est pas logique... ce n'est pas normal, continue le Gardien sans m'entendre.

Son regard semble mort. A-t-il peur ? Ce n'est techniquement pas possible mais il en a tout l'air. Pendant quelques secondes qui semblent s'étirer dans l'angoisse qui naît en moi, le Gardien reste muet et paraît chercher ses mots dans le vide qu'il fixe. Sa bouche entrouverte veut parler mais ne sait pas quoi dire. Moi, je reste face à lui, paniquant en anticipant ce qu'il est sur le point d'énoncer.

- Tes rêves sont en sursis, Swan... chuchote-t-il enfin. Ce n'est qu'une question de temps avant que...

Il ne peut continuer sa phrase. Il suffoque et pousse d'horribles gargouillis venant de sa gorge. Sa gorge actuellement enserrée par une main à la peau laiteuse et aux os saillants. C'est encore une fois cette main très, trop familière, reconnaissable avec cette bague à son index. C'est impossible. Cette bague, je la tiens encore entre mes doigts. Et pourtant, elle est aussi là, entourant ce long doigt osseux.

Le bras blanc et maigre tire soudain le Gardien vers l'arrière, resserrant sa prise autour de son cou. Le prédateur entraîne sa proie vers la dense et sombre forêt. Je n'ai le temps de rien faire, la main est trop rapide. Je ne peux qu'observer la scène, impuissante.

Et soudain, en voyant le rapt s'effectuer sous mes yeux, je ne vois plus la personnification de mes pensées, mais je ne reconnais plus que Camille. Camille, dont le visage commence à rougir d'asphyxie. Camille, dont les yeux froids prennent la couleur de la panique. Camille. 

Ma sœur.

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant