Chapitre 3

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Je ne prends même pas le temps de barrer la porte de mon appartement. Je cours dans le couloir, manquant de me prendre les murs dans la figure. Je sprinte dans les escaliers, trébuche plusieurs fois sans tomber, heureusement. Je descends les quatre étages le plus vite possible, glisse sur le carrelage du hall de l'immeuble et me fracasse lamentablement sur la porte vitrée de l'entrée, tel un insecte écrasé par surprise sur le pare-brise d'une voiture sur une autoroute. Je m'étale sur le tapis dégoûtant du hall, un peu sonnée par le choc. Si je n'avais pas mal et si je n'étais pas pressée, j'aurais ri de la situation. Je me croirais dans un cartoon, comme dans Bip Bip et le Coyote. Je me relève et vois à travers la vitre Gabriel qui lui non plus ne rit pas. Il me fixe, la mine exaspérée.

Je pousse la porte et salue Gabriel d'un grand sourire gêné.

- Hey! Ca va?

Il ne me répond pas et continue de me fixer de ses yeux noisette. Ses bras sont croisés sur son torse. Son pied gauche tape nerveusement le bitume. Même son sac à dos posé à terre à côté de lui semble me reprocher mon retard. Sa bouche est pincée, comme s'il se retenait de me dire quelque chose. C'est certainement le cas. Mal à l'aise, j'essaie d'engager la discussion.

- T'es en avance!

- C'est plutôt toi qui es en retard, rétorque-t-il.

Je devine bien qu'il me le reproche, même s'il ne me le dit pas explicitement. Il veut me faire culpabiliser. C'est réussi. 

- C'est pas faux ce que tu dis, conclus-je.

Nous commençons à marcher. Les bruits de la ville assaillent nos oreilles, pourtant je n'entends que le silence. Un silence gêné entre nous. Je brise la glace.

- Bon, je sens bien que ça te soûle que je sois arrivée en retard. Alors je m'excuse, ça te va?

- Non mais ne t'inquiète pas, c'est pas grave d'arriver en retard, je vais pas t'en vouloir à vie non plus! Ce qui est chiant, c'est que ça t'arrive tous les matins et, comprends-moi, ça me pénalise aussi! 

- Oui, oui, je suis désolée.

Gabriel semble se radoucir. Nous marchons. Autour de nous, tout est gris: le ciel d'octobre est gris, le trottoir est gris, les façades des maisons se dressant en face de nous sont grises, les piétons sont tous vêtus de gris. Même les arbres qui commencent à perdre leurs feuilles semblent se ternir. Gabriel et moi, vêtus respectivement de rouge et de vert, semblons n'avoir rien à faire dans cet univers sans couleurs. On dirait deux petites taches de peinture tombées sur du papier journal: deux erreurs, lâchées ici involontairement.

Pour aller à l'université, il faut passer par l'une des plus grandes rues de la ville, la rue du cœur historique, la rue touristique et commerciale. L'été, c'est infernal: entre fin mai et début octobre, la rue grouille de gens. On dirait qu'un tsunami a dévasté le centre-ville, à la différence que l'arme de son crime est une vague constituée non pas d'eau, mais d'êtres humains. Et nous, pauvres étudiants dont le seul but est de rejoindre le campus, nous devons alors nager dans cet océan vivant, en faisant attention à ne pas nous perdre. Mais là, nous sommes fin octobre: les derniers touristes sont partis, la rue est déserte. Il ne reste que les boutiques dont les vitrines illuminent le sol pavé. Je les connais par cœur, pourtant je ne peux jamais m'empêcher d'observer les articles exposés et de lire toutes les pancartes.

Nous passons devant le bar Chez Dédé. Le fameux Dédé est en train de faire un petit coup de ménage avant que les premiers clients n'arrivent. A côté du bar se trouve la librairie Le chat pitre. Les livres exposés en vitrine semblent fixer les passants osant s'approcher trop près. Cette librairie est plutôt lugubre, et pas grand-monde ne vient. Nous continuons à marcher et passons devant la bijouterie La bague au doigt. J'ai toujours aimé regarder les vitrines des bijouteries. Je suis passionnée de pierres précieuses et suis hypnotisée par les reflets irisés qui dansent sur les murs de la boutique. Mais aujourd'hui, ce ne sont pas ces lourdes boucles d'oreilles hors de prix qui retiennent mon attention, pas même les bracelets étincelants dont les pierres semblent être des petites étoiles. 

Sans m'en rendre compte, je suis en train de fixer une fausse main en bois, reléguée dans un coin, dans le fond de la vitrine, comme si les autres bijoux avaient honte de celui-là et voulaient le cacher avec leurs paillettes. Cette main articulée a ses doigts couverts de bagues en acier, des bagues simples, sobres, vendues pour quinze euros maximum. C'est vrai qu'elle n'a pas grand-chose à faire au milieu de parures de diamants. Pourtant, c'est cette main qui m'intéresse. Et plus précisément, c'est l'une des bagues qui ornent sobrement ses doigts de peuplier. Une bague terriblement familière. Une épaisse bande noire la traverse en son milieu et ses épais bords sont argentés. 

- Swan, tu te ramènes? Tu t'offriras des bijoux plus tard, le cours commence dans une minute!

Concentrée sur cette bague, je n'ai pas remarqué que je me suis arrêtée, le nez quasiment collé à la vitre. Gabriel a raison, ce n'est pas le moment. Cette bague doit rester dans mon rêve et ne pas empiéter sur ma réalité. Mes cours le jour, mes rêves la nuit.

Tout de même. C'est bizarre. Cette bague me suit, j'ai l'impression. Mais croire ce genre de chose est débile. Si toutes les coïncidences voulaient dire quelque chose...

- Bon Swan, je t'attends pas, tu te démerdes! lance Gabriel, avant de prendre ses jambes à son cou.

Son intervention me tire définitivement de mes pensées. 8h15. Le cours vient de commencer. Je soupire avant de courir moi aussi.

- Attends-moi!

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Voilà pour aujourd'hui!

Bonne année à tous!!!

(Même si vous êtes pas beaucoup <3)

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant