- Camille... tu vas me répondre ? je commence à m'énerver.
- Je ne suis pas Camille, répond-elle avec froideur.
Je lève un sourcil, dubitative. Elle soutient toujours mon regard de ses yeux froids, sans montrer aucune expression. Je n'arrive pas à lui répondre quoi que ce soit.
- Tu... enfin... vous lui ressemblez pas mal, quand même, bafouillé-je enfin.
- Je t'en prie, tutoie-moi. J'ai beau ne pas être ta sœur, tu me connais très bien.
Elle me perd. Dans l'incompréhension, je dis :
- Pardon mais je ne connais personnellement aucun sosie de Camille.
- Je ne suis pas un sosie.
Cette conversation n'a aucun sens et commence à m'énerver.
- Excuse-moi, hein, mais je comprends rien. Tu es Camille. Physiquement, vous êtes quasiment pareilles. Vous avez la même voix. Mais tu me dis que tu n'es ni Camille, ni son sosie.
- L'apparence que j'ai choisie pour te rencontrer est trait pour trait celle de ta sœur, mais j'aurais pu choisir n'importe quoi d'autre.
- Assez !
J'ai explosé. Mon cri ne fait aucun écho dans ce vide ténébreux. La fille devant moi reste impassible. Je prends quelques secondes pour me calmer et reprendre mon souffle. Après un instant, je chuchote presque :
- Qui es-tu ?
Elle reste un moment à me fixer de son regard froid. Pas un muscle de son visage ne tressaille. Elle ne cligne même pas des yeux. Elle finit par me répondre :
- Je ne suis personne.
Elle me fatigue. Je reperds patience.
- OK Ulysse, on va arrêter de rejouer l'Odyssée. J'espère que t'as la référence parce qu'en tout cas, Camille l'aurait eue.
- Oh, ne t'inquiète pas, bien sûr que je l'ai ! Je sais et ignore exactement les mêmes choses que toi.
Décidément, jamais je ne comprendrai ce qu'elle veut dire. Lassée de son petit jeu dont elle ne semble même pas s'amuser, je demande :
- Alors... qu'est-ce que tu es ? Je te préviens, encore une réponse absconse et je deviens folle.
Elle m'adresse enfin un sourire. Un sourire blasé, sans émotion, mais c'est toujours mieux que la bouche plus plate que la surface d'une mer d'huile qu'elle montre depuis tout à l'heure.
- Je vais répondre à tes questions. Sois juste patiente. De toute manière, tu as tout le temps possible devant toi.
À ses mots, tous mes souvenirs rejaillissent. Je repense à l'université, à Gabriel, à Coline, à la manifestation... je repense à ma vie et à la réalité qui m'attend. Mais une pensée s'introduit soudainement dans ma tête. Et si la réalité... ne m'attendait plus ?
- Attends ! je panique. Est-ce que je suis... morte ?
Je repense à la phrase que je viens d'énoncer. C'est tout à fait plausible que j'ai quitté ce monde. Le coup à la tête, le gaz lacrymogène. Tout cela a certainement dû me propulser par-delà les mondes.
Mais la fille devant moi lâche un petit ricanement sans joie. Elle rétorque :
- Ça je ne sais pas encore... à toi de voir.
Je ne sais encore pas quoi lui répondre. Je reste de marbre quelques instants. Décidément, cette discussion sans sens est ponctuée de silence. Je finis par retrouver le fil de la discussion et à demander, en reprenant de l'assurance.
- Je t'ai posé une question, tout à l'heure. Qu'es-tu?
Son sourire s'étend un peu plus. J'ai oublié à quel point le sourire de Camille est radieux. J'ai oublié à quel point elle est belle, et à quel point je me sentais hideuse par rapport à elle quand j'étais plus jeune.
- Je ne te cache pas que ça va être compliqué de te répondre, dit-elle enfin.
- Non, tu crois? j'ironise. Ça fait je ne sais combien de temps que tu me fais tourner autour du pot. Essaye au moins de faire un effort pour que je me fasse une petite idée de ce que tu es.
- Avant de comprendre ce que je suis, tu vas essayer de comprendre où tu es, propose-t-elle.
Je hausse à nouveau mon sourcil. Le gauche, toujours.
- Ça me semble plus facile de me dire ce que tu es plutôt que de me dire où je suis. Parce que justement, je ne suis nulle part, répliqué-je.
- Oui, mais tu n'es pas n'importe où nulle part, répond-elle.
Je marque un temps d'arrêt. Mon cerveau, tel un moteur de recherche sans connexion Internet, ne répond plus.
- T'as conscience que ta phrase n'a absolument aucun sens? je demande.
- Tu verras qu'elle a beaucoup plus de sens que tu ne le crois, me dit-elle dans un clin d'œil.
Elle m'énerve. Tout m'énerve chez elle. Pas uniquement à cause de ses paroles sibyllines mais c'est surtout sa ressemblance avec Camille qui m'agace. Sa voix moqueuse, ses yeux dont la glace irisée de ses iris semble cristalliser tous ses reproches qu'elle a à mon égard... même ses mèches blondes paraissent me narguer. Quand je la vois, ma haine contre elle naît dans mon ventre et croît pour aller percer mon cœur.
Je la ravale et dis:
- Bon! Où suis-je, alors?
-Pense.
Je ne m'attendais pas à sa réponse. Je ne comprends pas, encore une fois.
- Comment?
- Pense, répète-t-elle. Pense à un lieu, ça sera plus facile.
Interloquée, je m'exécute quand même. Après tout, je n'ai rien à perdre, puisque je n'ai rien emmené dans ce néant. Alors, je me concentre et essaye de visualiser un endroit familier.
La première chose qui me vient en tête est un camping. Je crée mentalement une image étrangement précise des allées aux emplacements occupés par des tentes familiales, des camping-cars garés n'importe comment, des sanitaires aux portes un peu cassées. C'est le bazar mais l'ambiance des vacances m'imprègne et me fait sourire.
Des adolescents torses nus courent dans les chemins. Des enfants poussent des cris de joie et d'amusement. Un fil à linge est tendu entre deux grands chênes et ploie sous le poids des maillots de bain qui y sont accrochés. C'est l'été, tout le monde est heureux et oublie ses problèmes. L'imbécile de patron est loin, le prof méchant aussi, il n'y a aucune raison de ne pas sourire. Certes, les habitats sont un peu précaires, les sanitaires pas toujours au top de l'hygiène et l'alimentation est à base de salades à bas prix et de boîtes de conserve mais c'est certainement ce qui s'approche le plus du paradis sur Terre.
Je ris. Je me sens bien. Même plus que lorsque j'étais seule dans le vide.
Dans le fond, je vois une grande étendue d'herbe brûlée à cause des fortes chaleurs estivales. Dans un coin de cette étendue, à la limite du grillage du camping sont plantées une vingtaine de tentes. Une impression de déjà vu me frappe alors.
Soudain je repense à la "chose" qui a pris l'apparence de Camille. Pourquoi m'a-t-elle imposé cet exercice? À quoi cela rime-t-il? J'ai assez joué. J'ouvre les yeux.
Je lâche un hoquet de surprise. Je m'attendais à tout sauf à cela.
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Ce chapitre n'a ni queue ni tête, n'est-ce pas?
J'espère que ça vous plaît toujours, à la prochaine!
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La vie rêvée
ParanormalToutes les nuits depuis quelques mois, Swan fait le même rêve, encore et encore. Et tous les matins, elle se réveille avec la même déception et les mêmes questions. Mais cela, elle n'en a pas grand-chose à faire. Du moins, jusqu'au jour où... je n'...