Je marche à contre-courant dans la foule. Je bouscule les gens sans sympathie, ignorant leurs jurons et leurs exclamations. Puis, estimant que je ne m'éloigne pas assez vite de Coline, je cours. Je pousse violemment les manifestants qui tombent lourdement les uns sur les autres. Je les pousse comme j'ai poussé Coline. Je ne vois même plus où je vais puisqu'un brouillard de larmes se dresse devant mes yeux.
Je suis perdue. Je n'ai même pas Gabriel avec moi. J'ai cru que Coline aurait pu le remplacer dans cette manifestation mais je me suis trompée. Tout en courant au travers de la foule, je sens monter en moi une haine pour Coline. Comment a-t-elle osé faire cela ? A-t-elle cru sincèrement une seule seconde que j'aurais pu éprouver la même chose pour elle ?
Et puis, d'un seul coup, je m'arrête, toujours perdue au cœur de la foule. Je reste stoïque, tel un lampadaire mais au lieu de diffuser de la lumière, je projette au milieu de cet océan d'allégresse ma mélancolie. Je suis seule bien que des centaines de personnes m'entourent. J'ai le sentiment d'être un cadavre. Je suis vide. J'avais de la haine en moi et puis là, je n'ai plus rien. Il n'y a que mes larmes qui coulent.
Pourquoi cette haine ? En y réfléchissant, même si l'approche de Coline était totalement... déplacée, on va dire, je n'avais aucune raison de la violenter ainsi. Elle n'a certes pas respecté mon désaccord mais ma riposte était trop forte. Tout ce qu'elle voulait, c'était m'exprimer ses sentiments, ce qui est suffisamment difficile, et bien qu'elle ne l'ait pas très bien fait, je l'ai violemment repoussée. Oui, je pense que je peux le dire, je lui ai bel et bien brisé le cœur. Je viens de faire ce que je m'étais promis de ne jamais faire. Je ressemble dorénavant à ceux à qui je ne voulais pas ressembler. Je me dégoûte.
Mais je n'ai pas le temps de plus me torturer l'esprit que cela car tout à coup, un lourd objet s'abat sur ma tempe gauche.
La violence du choc me fait tituber mais je ne tombe pas. Autour de moi, tout s'agite plus vite. Avant, les manifestants colorés suivaient un mouvement fluide, lent et uniforme, maintenant chacun semble suivre sa propre trajectoire chaotique. Des cris s'élèvent de la foule. Je porte machinalement ma main là où j'ai mal et constate le fleuve de sang qui s'en écoule. L'esprit brumeux à cause du choc, je tente de comprendre ce qu'il se passe. Je redresse le regard et vois l'objet qui m'a blessée.
Un panneau.
Un panneau comme ceux que portent les participants de la marche des fiertés mais celui-ci est beaucoup plus sobre. C'est un simple rectangle de bois peint en blanc et aux écritures noires. Le coin supérieur gauche est taché de sang. Mon sang. Ce panneau ressemble certes à ceux des militants LGBT+ mais il n'est clairement pas marqué la même chose dessus :
« L'homosexualité est un péché ! Retournez auprès de Jésus ! »
Je n'ai pas le temps d'être choquée par cette phrase que ce panneau retombe en direction de ma tête. Je l'esquive à la dernière seconde et vois enfin le visage de mon agresseur. C'est une femme d'une cinquantaine d'années qui porte un t-shirt sur lequel est marqué "On ne veut pas de vous!". Mais ce qui m'effraie le plus chez cette femme, ce n'est pas la maxime qu'elle semble arborer avec fierté sur sa poitrine mais c'est son expression. Ses traits crispés paraissent me reprocher toutes les atrocités du monde. Elle exprime une telle colère qu'on la dirait possédée par un démon.
- Erreurs de la nature! hurle-t-elle à pleins poumons.
- Retournez dans le droit chemin! renchérit un jeune homme portant le même t-shirt.
Je me redresse et constate avec horreur que derrière ces deux homophobes se masse une gigantesque armée dont chaque soldat arbore le même t-shirt avec le même slogan imprimé sur le torse. Leur nombre est incalculable, ils semblent aussi nombreux que les manifestants de la Pride. La scène est surréaliste. D'un côté, des gens aux vêtements multicolores. De l'autre, des soldats vêtus de blanc. L'arc-en-ciel contre les nuages qui le menacent d'être caché.
Et puis, tout s'immobilise. Quelques secondes passent dans une lenteur démesurée. Chacun se toise, s'observe, se juge. Le calme avant la tempête.
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Et voilà pour aujourd'hui!
Toujours aussi intense, ça n'a pas l'air d'aller mieux pour Swan.
A la prochaine!
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La vie rêvée
ParanormalToutes les nuits depuis quelques mois, Swan fait le même rêve, encore et encore. Et tous les matins, elle se réveille avec la même déception et les mêmes questions. Mais cela, elle n'en a pas grand-chose à faire. Du moins, jusqu'au jour où... je n'...