Chapitre 31

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Rien.

Il ne se passe strictement rien.

J'ai beau m'être convaincue que tout cela est faux, je suis toujours en train de me noyer au fond du fleuve, emportée par un zombie.

D'ailleurs, les puissants hoquets qui me secouent et qui ne font que m'aider à mourir ne cessent pas. Je me sens de plus en plus faible mais je ne parviens pas à trouver le repos dans le décès. C'est long, une noyade.

Le cadavre cramponné à mes hanches commence à s'agiter. Avec ses bras décharnés, il me tire vers le bas par à-coups, de plus en plus fort. Et finalement, après plusieurs minutes où le macchabée se débat pendant que je me laisse faire, il parvient à me propulser vers les tréfonds du fleuve, où je coule lentement. Je suis tel un caillou lancé dans une mare, condamné à chuter dans une lenteur absolue. Plus d'échappatoire possible, la surface est si loin au-dessus de moi que plus aucune lumière ne m'atteint. Seul le fond m'attend, aux côtés des déchets qui ont coulé et des squelettes anonymes d'anciens noyés. D'ailleurs, mon pied vient d'effleurer quelque chose. Une surface molle. Le lit vaseux du fleuve. Ça y est, mon voyage s'arrête. Et je ne suis toujours pas morte. Au vu de la sensation que me procurent mes poumons, que je sens déchiquetés par le passage de l'eau souillée, ça ne saurait tarder. La gravité m'allonge sur la vase poisseuse. Je m'étends, soudain soulagée. Je vais pouvoir me reposer en attendant que la Faucheuse vienne me cueillir.

Bon bah c'était une belle vie. Courte, certes, mais bien remplie. Je n'ai jamais manqué de rien. Je n'ai jamais été seule. Je n'ai jamais vraiment au de problèmes. J'ai réalisé de petits exploits. Oh, pas grand-chose, mais à l'échelle d'une vie d'adolescente, ce n'est pas trop mal. J'ai eu mon brevet, mon bac, j'ai gagné quelques compétitions, j'avais pas mal d'amis, j'ai plu à quelques garçons, quelques garçons m'ont plu, sans toutefois avoir pu goûter aux joies du couple... une petite vie calme, somme toute agréable à vivre. Je n'ai pas tout vécu mais ce que j'ai vécu, je l'ai bien vécu.

C'est drôle, j'ai l'impression que ça fait beaucoup de fois en peu de temps que je crois être sur le point de mourir et que je m'en sors au dernier moment. Malheureusement, ça ne sera pas le cas cette fois-ci.

Mhgn gnh mmhmhgn...

Quel est ce bruit de fond ? Il n'y a donc pas moyen de mourir tranquille ?

Mhmh gnemh !

Quelqu'un parle ? Au fond du fleuve ? Mes oreilles écrasées par la pression de l'eau doivent halluciner, c'est fort probable lorsqu'on décède.

Mhgn... dépêche !

Ah, ça commence à devenir plus distinct. Mais d'où vient ce bruit ? Je suis pourtant parfaitement seule dans le noir complet !

C'est là ! Creuse !

Ces paroles n'ont l'air d'avoir aucun sens. Peut-être d'anciens souvenirs qui refont surface.

Soudain, je sens une onde de choc se propager dans la vase dans laquelle je m'enfonce. Puis une autre, et encore une autre.

Allez, vite ! Le temps est compté !

Tout à coup, une lame de métal me tranche le dos. Je n'ai plus d'air dans mes poumons à expulser pour hurler et de toute manière, mon cri dans l'eau serait muet. La vase s'enfonce alors sous mon corps lourd d'eau, et moi avec. Sans crier gare, une main jaillit de cette vase et attrape ma jambe au niveau du genou.

Je l'ai ! Aide-moi !

La main tire alors ma jambe vers elle, me faisant pénétrer dans la vase. On veut m'attirer toujours plus profond, comme si quelqu'un souhaitait me faire disparaître. Cette main qui m'agrippe, est-ce la main ? Je ne vois pas si son doigt possède la fameuse bague. Ah, cette main ! Je ne sais pas ce que je lui ai fait pour qu'elle me harcèle comme ça. Même sur le bord du gouffre de la mort, elle m'importunera.

En tout cas, le propriétaire de cette main n'est pas très délicat ; il tire ma jambe au niveau de mon genou, tentant de m'attirer dans un trou pas plus large que son poignet. Il semble essayer de plier mon articulation dans le mauvais sens, ce qui est vraiment douloureux. Heureusement, mon corps est si fatigué de son long décès que les sensations en sont atténuées.

Mais t'es con ou quoi, tu vois bien que sa jambe va pas passer !

À ces mots que je comprends à peine, je sens la main lâcher ma cuisse pour aller gratter la vase en-dessous, afin d'agrandir le trou. Quelques minutes plus tard, cette main, plus une deuxième m'attrapent fermement la cheville. Au même moment, une autre paire de mains agrippe mon autre mollet.

À la une... à la deux...

Et c'est à ce moment-là que je sens mon cerveau décrocher définitivement. Quelque chose dans ma tête a disjoncté et a tout éteint. Serait-ce enfin cette bonne vieille Faucheuse qui vient récolter ma vie ? Eh bien, je l'aurai attendue.

La dernière chose que j'entends, c'est une énième phrase étouffée qui semble venir de terriblement loin :

À la trois !

La dernière chose que je sens, ce sont ces deux puissantes poignées qui tirent violemment mes jambes, englouties par la vase.

Et ma dernière pensée sera pour cette main baguée : au moins, elle arrêtera de m'emmerder.

Entraînée par les deux paires de bras au cœur de la vase, je disparais, et meurs dans les profondeurs de la Terre.

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Ca fait longtemps ! Désolée pour l'attente, les vacances puis des problèmes d'Internet m'empêchaient de publier.

J'espère que cette fin vous plaît !

La vie rêvéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant