Chapitre 7

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Comme promis, je n'oublie pas un détail. De toute manière, ce rêve, je l'ai fait tant de fois que je connais par cœur. Je saurais décrire avec précision la chorégraphie des reflets qui dansent sur la bague d'acier qui hante ma tête. Je pourrais retrouver les empreintes digitales de l'inconnu tant ses doigts ont glissé sur ma peau. Mais son visage... je n'ai simplement aucune idée d'à quoi il peut ressembler.

Une fois que j'ai terminé de raconter l'histoire que je vis chaque nuit, Gabriel met un certain temps pour analyser ces informations avant de dire :

- Effectivement.

- Effectivement quoi ?

- Effectivement, je comprends que ça te trouble. Mais j'ai quelques idées...

- Comme quoi ? je m'exclame avec impatience.

- Je pense que pour que ce rêve te quitte enfin, il faut que tu saches pourquoi il t'agresse. Quel est son message.

- Et s'il n'y en a pas ? je m'inquiète.

Tout en me donnant un mouchoir pour sécher mes larmes et la morve qui coule de mon nez, il poursuit :

- Déjà, je peux t'affirmer une chose : on ne peut pas rêver d'une personne que l'on n'a jamais vue.

Surprise, je stoppe ma marche. Je reste quelques secondes en plan avant que Gabriel ne continue :

- C'est logique, en vrai : imaginer un visage qui n'existe pas, c'est super dur ! Alors on ne peut rêver que de gens que l'on a déjà rencontrés. Et si tu es persuadée de n'avoir jamais vu une personne de tes rêves, c'est sûrement que tu l'as oubliée. Mais le cerveau retient inconsciemment tout.

- Alors la main dont je rêve chaque nuit est... réelle?

- Je ne peux rien affirmer mais je pense que oui. Et je pense surtout que le ou la propriétaire de cette main est une personne qui t'a particulièrement marquée et que, pour être tranquille, tu dois trouver qui c'est.

Perturbée par cette nouvelle, je commence à chercher de qui il pourrait bien s'agir. Mais je n'ai pas le temps de réfléchir car Gabriel continue sur sa lancée:

- J'ai aussi entendu dire qu'un rêve récurrent serait prémonitoire...

- Nan mais arrête, c'est des conneries, ça! le coupé-je.

- Ne t'inquiète pas, je le pense aussi. Cependant, une autre théorie me tente davantage. Le principal rôle du rêve serait de préparer l'individu à une situation susceptible de lui arriver. Ce serait pour cela que l'on peut rêver de se faire pourchasser ou de passer un examen.

- Ah ouais, dis-je dans un rire ironique. Donc mon cerveau a vu dans sa petite boule de cristal qu'un inconnu va venir me trifouiller le visage et me laisser tomber comme une vieille chaussette. Je ne me pensais pas si optimiste.

- Tu comprends rien! s'exclame Gabriel. On est d'accord, t'es jamais sortie avec quelqu'un?

- Ben ouais je confirme, dis-je sans savoir où il veut me mener.

- Alors peut-être que ton inconscient se prépare à ça.

- T'as conscience que tes explications ne me convainquent pas du tout? je m'impatiente.

- Oh, mais t'es jamais contente!

Sa voix est tout à fait sarcastique. Il pose les poings sur ses hanches et exagère son expression faciale au maximum. Ses yeux écarquillés ne semblent pas humains et paraissent être ceux d'un personnage burlesque de dessin animé. Nous nous fixons ainsi quelques secondes en silence, moi avec mes joues encore humides de larmes et lui dans sa position parfaitement ridicule. Après un petit instant où la vie semble être mise sur pause, nous explosons de rire. Mes larmes de stress laissent place à des larmes de rire.

Nous marchons ainsi, la tête renversée en arrière, titubant, l'un se reposant sur l'autre, comme deux vieux copains rentrant d'un bar totalement ivres. Oui, nous sommes ivres. Ivres de rire. Les passants nous adressent des regards pleins de jugement mais c'est à peine si nous les remarquons. Nous passons plusieurs minutes à rire bruyamment dans la rue, jusqu'au moment où je sens mon téléphone vibrer. Pas encore remise de mon fou rire, je le saisis d'une main encore tremblante de mes hoquets. Je le déverrouille et vois qu'il affiche:

Nouveau message:

Paul, 8h16: Image rare d'un kouing amann à l'état sauvage:

J'ouvre l'image jointe et vois qu'il s'agit d'une photo d'une plaquette de beurre. Le nez quasiment collé à l'écran de mon téléphone, je glousse dans mon coin. J'en ai oublié Gabriel qui ne rigole plus et me regarde. Je range mon téléphone et marche en souriant. Après quelques secondes de silence, je vois Gabriel qui me fixe et dis:

- Quoi?

- Non, rien. C'était qui?

- Quelqu'un que tu connais pas. Tu sais, c'est Paul, un pote que j'ai rencontré en colo, il y a six ans. Il m'envoie des blagues régulièrement. Regarde.

Je ressors mon téléphone de ma poche et pouffe à nouveau en voyant la blague. Gabriel rit un peu avant de dire simplement:

- Pas mal. Mais ce que je vois sur ton téléphone c'est qu'il est... 8h39, la vache! On est super en retard!

Surprise, je regarde mon écran et constate que c'est vrai. Nous avons raté toute une partie du cours ! Paniquée, je m'exclame :

- Jamais la prof nous acceptera en cours ! On est bons pour rester dehors jusqu'à onze heures.

Gabriel, lui, reste calme et dit simplement :

- Bah, pas de quoi s'énerver, c'est pas grave ! Et puis, t'avais vraiment envie d'aller en cours d'anglais et de voir la grosse tête de Mme Rondeau dès le matin?

Nous rions à nouveau puis, au moment où nous nous calmons, je lui dis :

- Chut.

- Quoi ? demande-t-il d'un air abruti.

- T'entends ?

- Mais quoi ?

- Tais-toi.

Il finit par m'obéir et les bruits qui me parviennent deviennent alors davantage audibles. Je devine dans son regard qu'il les entend aussi. C'est une espèce de brouhaha, de soupe où se mélangent et s'emmêlent des centaines de voix humaines. C'est lointain, on les perçoit à peine. Pourtant, j'ai l'impression que ces voix se rapprochent. Je sens même des vibrations un peu diffuses qui parcourent le bitume du trottoir pour remonter dans mes jambes. Inconsciemment avec Gabriel, nous marchons à petits pas pour s'approcher de la source de ce bruit. Notre curiosité nous emmène bien que cela puisse être dangereux.

Gabriel et moi n'osons plus produire un son afin de mieux écouter ce que dit cette foule. Ces gens crient, scandent, chantent, même. Mais nous n'arrivons pas à percevoir ce qu'ils disent ; trop de personnes parlent en même temps. Maintenant, le rassemblement semble tout près. Et effectivement, au moment où nous dépassons un coin de rue pour débarquer dans la grande avenue touristique, nous comprenons enfin l'origine de ce capharnaüm.

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Et voilà! Merci d'avoir tout lu!

Mais quelle est donc l'origine de ce "capharnaüm", comme le dit Swan?

A la prochaine!

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