Chapitre IV

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Je m'inquiète pour ma fille... Je crains qu'elle ne meure du surplus de vif, un jour. Et je serai responsable. Il faut que je la sorte de cette situation le plus vite possible.

Extrait de journal du comte Eras Yl'Coltraz

Le commandant Ollyver s'arrêta à mi-chemin, l'air pensif, les iris écarlates fixées sur le couple dansant. Ses moïras s'accélérèrent et il tapa trois coups secs dans les mains, assez fort pour que tout le monde entende le son répercuté par l'acoustique. Les serviteurs qui butinaient en désordre leurs tâches se figèrent sur place, puis se courbèrent ci et là devant les courtisans qu'ils assistaient et quittèrent rapidement la salle afin de ramener un à un les cinq immenses tableaux de la galerie attenante, qu'ils placèrent en demi-cercle autour de l'albinos. L'appréhension nouait l'estomac d'Amara alors qu'elle s'approchait à la suite des autres convives. À quoi jouait-il donc ?

— Mesdames ! Messieurs. L'adage ne dit-il pas que l'histoire est écrite par les gagnants ? Aujourd'hui, nous sommes gagnants. Alors je vous propose de revisiter ensemble les bases et décortiquer ce que la sacro-sainte lignée d'Elesir nous a fait avaler. Penchons-nous donc sur ce premier tableau.

Ses longs doigts blafards parcoururent la lumière qui émanait du coin supérieur droit jusqu'à tomber sur une dizaine de silhouettes humanoïdes en train de tomber, bras tendu vers un jardin paradisiaque peuplé de rivières azures et d'arbres fruitiers courbés par leur trésor pulpeux. Amara avait passé des heures, petite, à essayer de saisir ces silhouettes vaporeuses, à déceler là une jambe, là une chevelure orangée, là un bedon potelé. Le célèbre artiste Reyel Yl'Famir avait dessiné les Feys à l'image humaine sans néanmoins omettre les gigantesques ailes de brume qui s'étalaient en arabesque sur la moitié de l'œuvre.

— Création de l'An'kalara par les Feys, récita Ollyver. Ici, pas grand-chose à redire. Nous les Eraës, élus des Feys, entretenons une relation particulière avec Elles, et nos prêtres ont pu confirmer qu'Elles sont responsables de la création de notre monde sous l'égide de Déa, la Déesse Mère. Néanmoins, la représentation de celui-ci est plus que fautive. Au début, la terre n'était pas si fertile, si verte et propice à la vie. Non, elle était dure et aride, afin que nulle autre créature pouvant se mesurer à Elles ne puisse évoluer. Néanmoins, la race humaine naquit, et les Feys se prirent d'adoration pour nous, et s'entêtèrent à nous garder en vie. Cela provoqua l'ire de Déa, qui les enferma dans le Mesmere. En dernier cadeau, les Feys laissèrent dans leur sillage une traînée de leur sang divin, ce que nous appelons communément le flux. Celui qui régit les cycles naturels de nos écosystèmes. Enfin, je ne m'étalerai pas plus sur ce que vous savez déjà. Cette œuvre n'est donc pas tout à fait fausse, il s'agit seulement du détail de la terre.

D'un fuseau noir apparu entre ses doigts, il barra de plusieurs crevasse le bas de la peinture. Une exclamation choquée fusa des convives. Les épaules d'Amara se raidirent d'outrage, mais l'impuissance la clouait sur place. L'impuissance les épinglaient tous sur place. Tout ce beau monde s'offusquait de ternir une œuvre si ancienne et importante, mais personne ne pipa mot. Ravi de son effet, l'albinos se tourna vers le second tableau, celui dépeignant une scène de l'Ere Morcelée, où deux hommes nus s'affrontaient violemment, déclenchant dans leur combat aveugle – symbolisé par les orbites vides – des tourbillons, séismes et raz-de-marée qui ravageaient le paradis piétiné. Des perles brillaient au sein de leur paume nue – pas de moïras.

— Celui-ci est en revanche plus problématique, soupira-t-il. Si la terre était déjà proche d'inhabitable, ce ne sont pas les humains dotés de perles et abusant du flux réservé à la nature qui ont pu la ravager. Si combat meurtrier il y avait, c'était pour les ressources rares et nécessaires à la survie. De plus, il est faux d'indiquer que tout homme avait accès au pouvoir des Feys. Seuls les plus malins réussissaient à former un pacte avec Elles, et seulement dans le désespoir le plus total, souvent pour sauver un parent, un proche. Ils n'avaient d'ailleurs le temps de dépêcher quelques catastrophes sur le continent : le pacte les brisait rapidement. Cette histoire d'Ere Morcelée due aux pouvoirs débridés et abrutissants est donc complètement fausse !

Le Pouvoir Des Perles - Les Altérés d'IstaldelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant