Chapitre 10.2

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Alrik se leva brusquement, les poings serrés, les joues étirées en une grimace menaçante.

            — Thalya, si nous arrivons à une sorte... d'accord pour éliminer ces salopards d'Istaldel, j'aimerais qu'une chose soit claire, gronda-t-il avant d'inspirer un grand coup, comme pour se donner la force de débiter des mots appris par cœur. Kayrel ne doit jamais être confronté à l'Ombre, il va juste attirer les ennuis sur lui... sur nous.

            — Non ! s'exclama son ami en se redressant, lui aussi, suivi par la jeune fille qui n'appréciait pas être surplombée de la sorte. Tu n'as pas le droit de faire ça ! Thalya... Il faut que tu comprennes que...

            La douleur déforma son visage chaleureux. Ses taches de rousseurs se réunirent en un lac pigmenté.

            — Elle a décimé ma famille, murmura-t-il enfin. Toute la branche paternelle qui vit à l'intérieur de l'An'kalara, en terrain conquis, est tombée parce qu'elle... ne méritait pas de vivre.

            Thalya plissa les yeux, un peu déstabilisée, et s'écarta légèrement des deux garçons pour mieux les observer. Elle avait entendu que l'Ombre possédait une morale très arrêtée. Les gens qu'elle considérait sans valeur n'étaient que vermine et devaient être exterminés. Une sueur froide glissa dans son dos. Les nuits dans lesquelles elle s'était réveillée en larme avec le rire maléfique du monstre sans visage encore dans les oreilles ne se comptaient pas sur les doigts d'une main.

            Kayrel plissait les yeux pour retenir ses larmes, en vain. Des canaux d'eau striaient ses pâles joues tandis qu'il continuait son histoire, les yeux écarquillés, comme si la scène défilait devant ses yeux.

            — Ils n'étaient que des paysans, qui ne se mêlaient pas des affaires des autres, un peu bougons, mais... L'Ombre les a tous tué en une... en une... en une nuit, bon sang ! On est directement allé les voir quand on a reçu la nouvelle que les soldats étaient passés par leur village. Les corps jonchaient encore le parquet de la cuisine, en pleine décomposition... Et leur yeux, leur yeux...           

            Il craqua. Sa longue silhouette se replia sur elle-même. Alrik leva la main vers lui, l'air perdu. Le rouquin ne s'en aperçut pas et se tourna vers Thalya.

            — Je crois que c'est une chose que tu peux comprendre, Esteyal... Thalya. Alors, contrairement à cet abruti, tu m'aideras à l'éliminer !

            — Je te l'interdis ! intervint Alrik, la voix frôlant les abymes. Thalya, malgré tout, nous devons nous entendre, non ?

            La jeune fille se ferma. La condition ne devait pas être difficile à tenir, mais la figure éplorée de Kayrel résonnait comme celle d'un jumeau de destinée dans son cœur. Autant jouer franc jeu avec son rival.

            — Tu ne peux pas me demander de refuser une telle demande, répondit-elle enfin. Je n'y arriverai pas. Laisse-le, tu es tyrannique.

Alrik encaissa le coup, ferma les yeux et se força à prendre une lourde inspiration, les bras croisé. Une bourrasque faucha le groupe et sembla le réveiller de sa transe. Il fixa sa rivale.

            — Tyrannique ! cracha-t-il enfin, les petites tresses de sa coiffure dans le vent. Tout de suite les grands mots, hein ? Et tu oses me le dire avec un air noble, comme si depuis toujours j'étais le bourreau, le méchant ! Avec ta tête d'ange, tu sembles oublier toi-même qu'au début, la victime, c'était plus moi, et toi, la cause de toutes les misères !

            Thalya recula imperceptiblement jusqu'à s'approcher du vide. Elle mit ses mains sur le fourreau de ses sabres, tendue. Comment osait-il revenir avec cela ?

Le Pouvoir Des Perles - Les Altérés d'IstaldelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant