Prologue

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La mer sanglante de cadavres se reflétait dans les yeux écarquillés de la petite fille. Leurs orbites vides la transperçaient, l'odeur de pourriture la dégoûtait, les entrelacs de métal mat qui se développaient en arabesque sur leurs avant-bras la terrorisaient.

Le crépitement d'un feu éloigné ne parvenait pas à masquer les gémissements des blessés. La guerre se déchaînait et faisait naître des ombres malveillantes dans les pupilles de la gamine.

- Mère, pourquoi leurs Moïras sont-elles éteintes ?

- Ces hommes sont morts, Amaryllis.

La femme tira sans ménagement la petite vers le campement militaire qui se profilait au loin. Cramponnée aux multiples volants de soie rouges de la robe qui balayaient le sol, la fillette luttait contre ses émotions. Or même la douceur du noble tissu ne suffit pas à l'apaiser ; ses yeux bleus se noyaient dans des larmes de détresse.

Un nuage de poussière aride pénétra dans ses narines, dans sa bouche, et répandit un goût amer jusqu'à l'intérieur de son âme. Une quinte de toux féroce la précipita sur le sol rugueux. Sa peau protesta contre la pointe acérée des cailloux qui la perforaient de part en part et des taches noires dansantes obscurcirent sa vision déjà brouillée par la fumée. Les mains de sa mère s'enfoncèrent alors dans son épaule et la remirent debout d'un coup sec, ce qui lui fit perdre à nouveau l'équilibre. Le hurlement d'un loup envahit l'atmosphère. Elle sursauta. Ses yeux s'affolèrent un instant, puis se calmèrent sous la fatigue.

Du plomb semblait lentement prendre place dans ses veines. Elle souhaitait presque rejoindre cette vallée morbide, s'allonger aux côtés des cadavres pour écouter les respirations inexistantes et sombrer avec elles.

Comme pour répondre à son angoisse, une chaleur grandit en elle, pour se répandre ensuite dans tout son corps engourdi. La forme d'une autre petite fille apparut alors dans la poussière, lui prit la main et sourit amicalement. Les traits de l'apparition se renforcèrent peu à peu et ses lèvres s'approchèrent de l'oreille d'Amaryllis.

- Courage.

La silhouette s'évanouit dans le vent.

- Thalya ! Reste avec moi ! implora la voix fluette de la gamine.

Un signe de main dans la tourmente lui répondit avant de disparaître dans un nuage de débris et de braises.

- Amaryllis ! Si tu ne viens pas ici tout de suite...

La blondinette s'empressa de rejoindre sa mère d'une démarche mal assurée ; le sol sous ses pieds semblait humide de sang. La femme lui prit la main avec autorité et la tira vers les cris déchirants qui perforaient le silence étrange de l'après-bataille. La respiration d'Amaryllis s'accéléra de nouveau. Quels supplices devrait-elle encore endurer pour rassasier les désirs de son bourreau ?

Elles arrivèrent enfin près de l'agglomérat de tentes. Les tourbillons de cendres empêchaient le regard de se porter plus loin sur l'horizon et rendaient flous les contours des personnes s'activant autour. Au centre se trouvait une immense croix de bois à laquelle était attaché un homme.

Son torse dénudé se soulevait difficilement, ses cheveux gras retombaient devant des yeux vides de toute énergie, semblables à des cavités sombres qui aspiraient la lumière. Sur ses avant-bras brillait le métal des Moïras et, au milieu des arabesques argentées, se dévoilait une perle d'un vert impérial, emplie d'une fumée opaque. Le symbole des gradés.

- S'allier à la garnison du Grand Conseil équivaut à vendre son âme et sa vie. Ce gradé a choisi de se rebeller. Ils le punissent pour l'exemple, pour que toutes les personnes possédant une perle se soumettent à leur puissance. Tu comprends ?

Amaryllis sentit une sueur froide couler dans son dos. L'image de ses propres Moïras, ornées d'une perle rouge sang, la fit frissonner. La malédiction des gradés serait un poids qu'elle devrait porter toute sa vie.

Une silhouette sombre assise au pied de la croix leva la main et des clous, comme animés par une force propre, s'envolèrent à son signal. Le hurlement du prisonnier transperça la gamine quand les pointes d'acier s'enfoncèrent dans son corps. Le sang gicla. De partout. Des torrents carmin s'écoulaient des plaies pour chuter en cascade sur le sol assoiffé.

Amaryllis recula d'un pas et se détourna, horrifiée. Elle mit ses mains devant ses yeux en serrant les dents. Ses lèvres murmuraient des prières inaudibles destinées aux Feys sensées protéger les habitants de l'An'kalara. Elle souhaitait que le temps passât plus vite. Pouvoir s'enfuir de cet endroit où tout l'oppressait.

- Amaryllis ! Arrête cette comédie sur-le-champ si tu ne veux pas passer la semaine dans la Cage !

La petite se figea. Pas la Cage. Tout, mais pas la Cage. Son cœur s'emballa à l'idée d'être emprisonnée entre des barreaux qui lui sciaient les épaules et l'empêchaient de bouger d'un centimètre. La terreur du mécanisme capable de la broyer sans effort déclencha un flot d'adrénaline qui la fit sursauter. Sous l'injonction de sa mère, elle se rapprocha du condamné, mais ses cris de douleurs envoyaient des décharges dans son cerveau paralysé. Soudain, une main chaude se glissa dans sa paume moite. Les épaules de la blondinette se détendirent graduellement grâce à la présence spectrale de son amie.

La voix de sa mère s'engouffra dans sa tête et fit voler en éclat le bien-être qui s'installait en elle.

- Amaryllis Yl'Coltraz !

Tremblante, elle se força alors à lever la tête jusqu'aux derniers soupirs du gradé. À la fin du supplice, des soldats se rapprochèrent du mort avec une tenaille et commencèrent à inciser les Moïras du cadavre. Amaryllis faillit suffoquer devant l'atrocité de l'acte. Ces ornements métalliques qui étaient greffés à la naissance de chaque humain selon la loi d'Elésir faisaient intrinsèquement partie de soi. Les enlever revenait à souiller le corps du défunt. Elle frotta inconsciemment sa main contre ses propres Moïras, qui encerclaient ses propres avant-bras, tièdes.

- Pourquoi ? osa-t-elle demander d'une voix qu'elle s'efforçait de contrôler.

- Les Moïras des gradés sont une précieuse source de pouvoir pour le Grand Conseil. Ses responsables savent comment en tirer profit et n'ont aucun scrupule à sacrifier les dissidents afin d'en profiter.

Les ongles de sa mère s'enfoncèrent dans la chair tendre de l'enfant, qui gémit. Sans la regarder elle chuchota :

- M'as-tu bien comprise, Amaryllis ?

Le métal tomba et se fracassa contre la terre humide, luisant encore faiblement de résidus du Flux, ce courant magique qui baignait dans l'atmosphère. Le cadavre, resté sur sa potence semblait surveiller la gamine tel un épouvantail morbide. L'odeur de sang et de pourriture renversa l'estomac de la petite. Elle se retint de vomir la nourriture qu'elle avait ingérée dans la calèche qui l'avait emmenée ici. Sa mère accola sa bouche à son oreille, menaçante.

- Voilà ce qui arrivera si tu utilises tes pouvoirs.



Note de la Créatrice

Bienvenue en An'kalara, petites étoiles, je suis heureuse de vous accueillir dans ce monde !

Qu'avez-vous pensé de ce prologue ?

De cette petite fille ?

Toutes les critiques et tous les conseils sont les bienvenus ! N'hésitez vraiment pas à le faire, ça vaut tout l'or du monde ! Et si vous voyez une faute d'orthographe, signalez-là de bon cœur ! Vous m'aideriez énormément. *> (ce smiley est un oiseau)




P.S Un grand merci à Perlemu pour tous ses commentaires géniaux qui m'ont énormément aidé à retaper ce prologue ! *envoie des cookies "merci" remplis de chocolat suisse*

Corrections publiées le 23.11.2018

Corrections 2.0 publiées le 07.07.2019

Le Pouvoir Des Perles - Les Altérés d'IstaldelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant