Le Pouvoir Des Perles - Les Altérés d'Istaldel

Epilogue I

Les pieds des deux filles se prenaient vaillamment les racines en pleine figure, se faufilaient sous la mousse humide, sans broncher sous leur poids. Lourds étaient leurs membres transis par la brume épaisse, lourds étaient leur cœur de tristesse et de regret. La gamine se laissait guidée par l'aînée, ses doigts crispés en une féroce tétanie autour de la main chaude, comme si sa sœur pouvait subitement s'évanouir dans les ténèbres désormais éternelles qui l'entouraient.

La fillette commençait à fatiguer, mais ses plaintes mourraient sur ses lèvres. Elle n'y avait pas droit. Tant de vies avaient été fauchées en plein élan pour qu'elle survive.

— Je t'ai pourtant dit que ce n'étais pas de ta faute.

Lory trébucha. Elle avait à nouveau pensé trop fort. Ses douces boucles frôlèrent ses joues rosies par le vent qui se faufilait entre les troncs millénaires. Son nez picota.

— Ils ont donné leur vie en connaissance de cause. Et tu n'imagines pas à quel point ces documents vont faire changer les choses, murmura Thalya à son oreille, avant de la charger sur son dos. Ils pourraient faire basculer le cours même de la guerre.

Elles arrivèrent enfin au promontoire préféré de la jeune Championne. Elle cligna des yeux, s'assit et attira Lory près d'elle. La gamine avança une main tremblante en avant, jusqu'à sentir le cairn maladroit qui servait de stèle à Remy et tous les autres. Elle éclata en sanglot. Les larmes filaient, sans qu'elle puisse les arrêter. Loin de se calmer, ses hoquets s'amplifiaient, se multipliaient en hurlements qui déchiraient sa poitrine.

Sa sœur la serrait fort, l'enveloppait de sa présence.

— Chht, Lory. Le soleil se lève.

La fillette se tut.

— Raconte-moi.

Thalya hésita, replaça une mèche rebelle derrière l'oreille de la fillette, puis plongea son attention dans la vallée qui s'éveillait sous elles.

— Au loin, derrière la mer de nuage, l'astre éclatant se réveille, chuchota-t-elle. Il est particulièrement splendide, aujourd'hui. Istaldel est tellement petite qu'elle ressemble à une maison de poupée.

Un rire étouffé secoua Lory.

— Continue, réclama-t-elle.

— Des milliers de rayons ricochent à travers les Quarts et tissent une toile d'araignée orangée sur toute la ville. Et dans les hautes herbes se cachent les lucioles, prêtes à exaucer le moindre de tes souhaits si tu les attrapes.

— C'est pas vrai.

— Mais si, insista Thalya, ou bien... serait-ce la rosée qui capte la lumière ?

— Je préférerais que ce soit des lucioles.

La Championne sourit, embrassa bruyamment le cou de la petite qui couina et observa avec mélancolie les détails qu'elle dissimulait sciemment. Les fumées des cérémonies funéraires, mêlées à celles de maisonnées brûlées en représailles. Le cercle d'armures qui entourait le Manoir, le lac aux teintes brunâtres.

Non, ce dernier détail n'était qu'une illusion.

Elle ferma les yeux un instant et s'autorisa deux larmes silencieuses. Personne ne reviendrait d'entre les morts, il fallait aller de l'avant, s'aider du tremplin qu'ils lui apportaient. Elle ploya un instant sous la chape de responsabilité. Verince ne serait plus jamais là pour la soutenir. Plus jamais.

Au loin, une flèche de métal noir se découpa dans l'aube naissante. Tel un oiseau de mauvais augure, sa pointe effilée semblait transpercer le ciel et l'éclabousser de sang.