13. Bonne ou mauvaise rencontre ?

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                    Arrivée à Thonon-les-Bains, l'ambiance ne fut pas du tout aussi joviale. 

     « Mlle Stillman, Monsieur Bettarili va vous recevoir ! » 

                    Rien que cette phrase d'accueil me glaça le sang. Sa secrétaire me dévisageait, des pieds à la tête, se demandant probablement de quel "trou-du-cul du monde" je venais. Le nom de famille qu'elle venait d'annoncer était celui d'une des plus grosses fortunes suisses, avec un portefeuille comprenant pas moins de dix milliards d'unités. Cette lignée avait commencé par les produits pharmaceutiques et s'était diversifiée à force de se reproduire. Je me sentais toute petite et cela ne s'arrangea pas quand l'homme en question sortit du bureau. Aussi grand et charismatique que Jeff, avec d'ailleurs un air de famille troublant, il s'avança et me serra la main avec une telle force que trois doigts craquèrent sous le geste.

     — Vous êtes en retard, Mlle Stillman. J'ai horreur ça. Si vous veniez à travailler chez nous, il serait intolérable que cela se reproduise, est-ce clair ?

     — Oui, monsieur, veuillez m'en excuser.

     — Je ne marche pas au piston, je déteste ça et Jeff le sait. Il a de la chance que cela ne soit pas moi qui aie pris l'appel ce jour-là. Ma belle-sœur n'a pas ma force de caractère malheureusement. Elle cède à tous ses caprices. Montrez-moi donc les documents que vous m'avez apportés !

     — Il fait cet effet à beaucoup de femmes, il sait y faire.

                    Prenant un rictus léger, j'essayais de détendre l'atmosphère, en vain. Je lui tendis alors mon dossier, espérant que cela aurait le même effet qu'aux deux autres. Il l'examina, sourcils froncés, tout en me répondant le plus calmement du monde.

     — Que ne ferait pas une mère pour son fils ?

     — Oh ! Excusez-moi, je ne savais pas.

     — Bien entendu, sinon vous ne seriez pas là. Il s'arrange toujours pour renier notre famille à ce que je vois, sauf quand il a besoin d'un service, bien sûr. Bon sachez que chez nous, ce genre de torchons ne sera jamais publiés !

                    Il me jeta mon dossier. Le papier visé était l'article sur les dessous-de-table de l'ancien Maire d'Amancy, celui-là même qui m'avait fait gagner mes stages de novembre et de février. Je n'arrivais plus à parler. La révélation que j'attendais depuis ces derniers jours, sur la vie de Jeff et sa famille, m'avait été crachée au visage comme un venin. Puis, il continua son laïus :

     — Les tabloïds, c'est pour le bas peuple, pas pour les grands de ce monde. Je vous demande donc de m'écrire quelque chose d'autre de plus pertinent. Votre stage de mai est envisageable dans notre calendrier à condition que votre prochain essai soit plus... ciblé. Pondez-moi un papier de mille cinq cents mots, je vous laisse trouver le sujet toute seule. Montrez-moi de quoi vous êtes capable. Vous avez un mois. Je vous laisse ma carte. Envoyez-le-moi directement sur ma boîte mail. Sachez qu'ici, tous les employés se sont distingués au mérite. Votre école ne tarit pas d'éloge sur vous, mais il n'en est absolument pas le cas de Geneviève Bobalat. Elle vous qualifie d'anarchiste. Il est hors de question d'avoir un fouteur de trouble dans mes rangs, même pour un mois. Je dois vous laisser, j'ai un autre rendez-vous qui est ponctuel, lui ! Tâchez de me surprendre, mademoiselle, nous pourrions faire de vous une grande !

                    Il se leva, fit le tour de son grand bureau, puis me serra la main alors que je n'étais même pas encore debout. Je lus l'impatience dans son regard. Je serrai sa main, ramassais mes papiers et sa carte de visite et pris la poudre d'escampette. C'était la première fois pour moi qu'un entretien se passait de la sorte où je n'avais pas prononcé le moindre mot. Il s'était renseigné sur moi, allant jusqu'à appeler ma logeuse. J'allais passer le pas de la porte quand son bureau s'ouvrit et qu'il me gratifia d'un « dites-lui qu'il appelle sa mère plus souvent ! », puis il disparut dans son bureau.

L'AFFRANCHIE - Tome 1 : L'apollon et la NoctuelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant