Chapitre 5 - Une voix dans l'ombre

16 3 17
                                    

Aélyia sortit du palais cendré : elle avait besoin de prendre une bouffée d'air frais. Après s'être suffisamment éloignée, elle poussa un long soupir, soulagée de pouvoir enfin échapper à l'atmosphère trop tendue qui régnait dans le manoir. Sinistra était rentrée quelques jours auparavant de la discussion des Hister-Moons avec un air terriblement soucieux et Aélyia s'inquiétait pour son amie. Elle prenait bien trop à cœur cette maladie et tentait l'impossible pour y trouver une solution.

Mais certains problèmes n'admettaient pas de solutions. Aélyia était trop bien placée pour le savoir. Sinon ses parents seraient encore en vie à l'heure actuelle. Malgré elle, une larme coula sur sa joue pâle qu'elle s'empressa d'écraser. Ils étaient morts depuis déjà dix ans, emportés eux aussi par une maladie. Certes, une maladie bien différente, où aucun remède n'avait pu être trouvé pour les soigner. Enfin... c'était plus juste de dire que personne n'avait cherché de remède. Car ils étaient à cette époque tous des automates, substituables les uns aux autres. Des Ombrals... Le pire pour Aélyia dans cette perte était qu'elle savait que ni elle ni son frère n'avaient éprouvé la moindre peine face à cette disparition. Personne ne les avait pleurés et tous avaient continué leur chemin sans se soucier d'eux. Ce n'était que maintenant qu'Aélyia prenait conscience de la dure réalité de son enfance.

Aélyia se força à inspirer et expirer profondément pour chasser ces souvenirs, qui lui semblaient à la fois familiers et trop étrangers. Ses pensées retournèrent naturellement à Sinistra et son problème insolvable. Bien qu'Aélyia eût déjà essayé plusieurs fois au cours de ces derniers jours de la convaincre qu'il existait des problèmes sans solution, la jeune déesse était restée imperturbable et sûre d'elle. Aélyia ne voulait pas que son amie souffre en constatant son échec... un échec qui lui semblait à présent si certain, puisqu'il ne lui restait plus qu'un mois. Un mois. Un mois pour convaincre Sinistra qu'il n'existait pas de solution et que cela ne servait à rien de chercher. Espérer beaucoup conduisait à un échec encore plus cuisant et douloureux à supporter ; Aélyia devait à tout prix éviter à Sinistra d'être confrontée à cette affligeante réalité.

La jeune femme poursuivit lentement son chemin sur un chemin cendré naissant, l'esprit préoccupé par cette réflexion. Sinistra devait profiter des derniers instants à vivre avec ses amis au lieu de s'isoler pour chercher quelque chose qui n'existait pas. Peut-être pouvait-elle demander conseil à son frère pour faire entendre raison à Sinistra... Elle n'eut le temps d'y songer davantage qu'elle fut surprise par un mouvement à sa gauche. Remettant prestement une longue mèche de ses cheveux noirs derrière son oreille, Aélyia plissa les yeux pour discerner ce qui avait retenu son attention.

Mais il n'y avait rien, seulement un désert de cendres qu'Aélyia appréciait de moins en moins. Voilà que j'ai des visions... La jeune femme secoua la tête et reprit sa route dans cette zone isolée ; elle aurait tant voulu que Sinistra lance des projets pour aménager la planète. Laïa était si belle en comparaison, si bien entretenue, et cela ne faisait que depuis quelques mois qu'elle s'était relevée. Un sourire s'esquissa sur son visage juvénile mais il disparut aussitôt ; la présence mystérieuse venait de se manifester à nouveau. Aélyia pivota hâtivement, alors que l'inquiétude la gagnait. À cause de l'obscurité naturelle de la planète, Aélyia ne parvint pas à discerner de ce dont il s'agissait et elle s'approcha prudemment de ce qu'elle pensait être la source du mouvement. Elle distingua alors dans la pénombre une paire d'yeux vairons, l'un marron, l'autre vert, mais tous les deux dépourvus d'éclat. Remarquant que l'inconnu était tout petit, Aélyia devint tout attendrie et se dirigea vers lui pour s'agenouiller :

— Oui ? demanda-t-elle gentiment. Que puis-je faire pour toi ?

Aélyia avait instinctivement employé le tutoiement, pensant qu'elle avait affaire à un enfant, mais la voix qui émergea de l'inconnu était mature, étrangement féminine avec des intonations graves :

— Aélyia. Tu as besoin de Mon aide.

Intimidée par cette voix emplie d'autorité, la jeune femme eut un mouvement de recul et n'osa parler davantage. L'inconnu poursuivit alors, sur ce ton toujours aussi majestueux :

— Il existe une solution à la maladie des deux frères. Et ta maîtresse va la trouver. Mais tu dois l'aider.

Aélyia fut stupéfaite par ces paroles et elle se demanda si elle n'était pas en train de parler à un fantôme, ou même pire de rêver. Les rêves étaient la pire chose pour elle, car elle n'avait aucun contrôle sur eux, comme lors de sa vie d'Ombrale.

— Les plantes des montagnes sont la clé de la potion, enchaîna la voix, empêchant Aélyia de réfléchir plus longtemps. Tu dois transmettre cette information à ta maîtresse. Et une dernière chose encore : la maladie est une malédiction. Ta maîtresse devra la contrer, après avoir trouvé le remède, ou elle se poursuivra à jamais, plongeant la descendance des deux frères dans la Mort. Un Sortilège suffira pour la conjurer.

Aélyia frissonna devant ces informations ; son interlocuteur était si glacial, encore pire que Malefik. Et la mention du Sortilège lui avait encore une fois douloureusement rappelé sa vie d'Ombrale. Bravant sa peur, elle osa demander :

— Qui êtes-vous ? Pourquoi me donnez-vous ces informations ? Et pourquoi n'allez-vous pas parler directement à Sinistra ?

Le vouvoiement était devenu naturel cette fois ; son interlocuteur était indubitablement un adulte, malgré sa toute petite taille.

— Mon identité ne t'est d'aucune importance. Pour la deuxième question, la réponse est simple : les deux frères méritent de vivre, au même titre que leur descendance. Et quant à la dernière, Je ne veux pas parler à Sinistra. Elle ne M'écoutera pas.

— Pourquoi ? s'étonna Aélyia. Tout ce qui concerne la potion l'intéresse plus que tout.

— Elle t'écoutera, toi. Pas Moi.

Aélyia s'apprêta à riposter, mais la voix la prit de court :

— Maintenant, pars. Va donner les informations à Sinistra. Et reviens ici, en ce même lieu, le 1er Monelia*. Je t'y attendrai.

Aélyia n'eut le temps de prononcer le moindre son que les yeux vairons furent soudainement recouverts d'un tas de terre. La jeune femme se releva hâtivement en reculant d'un pas, surprise par ce revirement de situation. Où était-il ? Pourquoi les yeux avaient-ils disparu aussi soudainement ? Pourquoi ses yeux avaient-ils justement été la seule chose qu'Aélyia avait discernée au cours de cette conversation ? Ce moment avait-il été réel ?

Refusant de croire qu'elle vivait encore dans une illusion, Aélyia s'accroupit à nouveau et effleura d'un revers de la main le tas de terre marron qui avait recouvert les yeux vairons. Elle éparpilla toute la terre argileuse sur le sol cendré, mais il n'y avait plus aucune trace de l'inconnu ou de ses yeux. De la terre. C'était l'unique preuve qu'il restait de l'échange qu'elle venait d'avoir avec... des yeux.

La jeune femme respirait péniblement, troublée par ces derniers instants qui lui avaient semblé si réels. À supposer que ce mystérieux inconnu lui eût dit la vérité, comment pourrait-elle aborder un tel sujet avec Sinistra ? Jamais son amie n'accepterait ce genre d'informations, d'une source si peu fiable et si peu crédible. Et c'était justement l'inverse de ce dont Aélyia voulait lui parler ; elle voulait l'exhorter à arrêter, pas l'encourager à poursuivre !

Pourquoi l'inconnu aux yeux vairons lui avait-il assuré qu'il existait un remède ? Il semblait si sûr de lui, mais comment pouvait-il véritablement le savoir ? Et à supposer qu'il connût le remède et voulût aider les deux frères, pourquoi confier aussi peu d'informations ? Les plantes des montagnes... c'était beaucoup trop vague. Sans compter que Sinistra devait sûrement déjà connaître les vertus des plantes des montagnes.

Le 1er Monelia ; dans moins d'un mois. Aélyia devrait revenir ici ; elle le reverrait sûrement... mais pourquoi faire ? Qu'avait-il encore à lui dire et qui ne pouvait pas être révélé maintenant ? Devait-elle se taire et ignorer ce qu'elle venait de voir ? Pourtant, au fond de son cœur, son intuition lui soufflait que cet inconnu lui avait dit la vérité. Malgré elle, elle voulait y croire.

***

1er Monelia : 1er octobre.

Hister-Moons - Tome 2 - Une lueur d'espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant