Chapitre 40 - Rêve éveillé

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* Point de vue d'Ethan *



La douleur que j'avais ressenti dans mes doigts en les serrant avec force sur le volant de ma voiture le matin du départ de Sam est encore vive dans mon esprit, mais elle n'est rien comparée à celle qui me tiraille l'estomac et me lacère le cœur depuis maintenant plus d'un an.

Oui, voilà déjà une année que je n'ai pas revu Sam, que j'ai assisté à son au revoir avec Mathis et qu'elle est partie vivre à l'autre bout du pays.

Je savais qu'elle et moi n'avions pas le droit de nous revoir, mais je n'avais pu me résoudre à la laisser quitter la ville sans l'apercevoir une dernière fois. J'ignorais pour quelle heure le départ était prévu, aussi avais-je fait les cent pas dans mon salon à cinq heures du mat', comme un lion qui tourne en cage. N'y tenant plus, j'avais empoigné mes clés, mes chaussures, enfilé un t-shirt et étais sorti. J'avais roulé vite, très vite, dans l'espoir d'arriver devant chez elle avant qu'elle ne s'en aille, et m'étais garé une vingtaine de minutes plus tard à distance respectable de sa maison. Et j'ai attendu. J'ai attendu patiemment que les premiers volets s'ouvrent, que l'agitation s'amplifie, qu'ils finissent de vivre leurs derniers instants en ces lieux. Puis, une voiture est arrivée, rompant le silence du lotissement endormi, et j'ai de suite reconnu le passager. Mathis. Son père s'est garé et avait contourné son véhicule pour ouvrir le coffre et en extraire un fauteuil roulant. On m'avait rapidement mis au courant, au lycée, qu'il avait eu un accident, mais nous ignorons les circonstances. M. Johnson avait ensuite aidé son fils à s'installer et l'avait poussé jusque devant la maison des Foster. Et enfin, ils étaient sortis tous les cinq vers neuf heures. Samantha était si belle, mais semblait si triste. J'aurais tout donné pour pouvoir sortir de ma voiture et aller la serrer dans mes bras, et j'ai dû prendre beaucoup sur moi pour ne pas le faire.

J'ai dû me forcer à ne rien faire avec encore plus de force en constatant l'éclat qui s'est ravivé dans ses yeux sitôt qu'elle eût vu son ami. J'aurais dû me réjouir de voir un sourire remplacer sa mine morose, mais la jalousie était plus forte et j'ai resserré ma prise sur le volant. Et j'avais de nouveau patienté près de trente minutes, le temps que les deux familles discutent. Je sentais ma mâchoire se crisper un peu plus à chaque seconde qui s'écoulait, et j'ai réellement failli sortir en courant de ma Lamborghini lorsque Sam et Mathis sont restés seuls quelques instants. Trois minutes, tout au plus, qui m'ont paru des heures. Je les ai vu se faire un câlin, se parler, se serrer les mains et s'offrir des bracelets. Ou plutôt, non : il lui a offert son bracelet. Elle, elle s'est dénoué les cheveux pour lui donner son élastique noir. Ma vue s'était troublée et ma poitrine s'était comprimée ; son élastique noir.

De nos jours, ce présent est symbolique pour les couples : en général, quand une fille offre son élastique noir à un garçon, c'est qu'elle en est amoureuse et que ce dernier est son petit ami. Alors, même si ce geste n'est qu'un effet de mode popularisé par les réseaux sociaux et les images de couples parfaits qu'ils nous renvoient, j'ai éprouvé un pincement au cœur et ma jalousie a redoublé en la voyant, impuissant, lui passer l'élastique autour du poignet.

Puis, elle s'était éloignée et était rentrée dans la voiture de ses parents, qui avait démarré presque aussitôt. Sam ne m'avait pas remarqué, elle n'a jamais su que j'étais présent pour elle le jour de son départ, pour la voir encore une fois, pour éprouver une dernière fois le plaisir d'admirer ses cheveux, ses yeux si bleus, ses lèvres, elle. Je n'avais pas rallumé le contact en même temps que son père avait enclenché le sien. Je n'avais pas bougé, pas même cillé ; mes yeux étaient restés fixés sur le pare-brise arrière de leur voiture, à travers lequel j'apercevais encore un peu de celle que j'aime. J'avais patiemment attendu qu'ils disparaissent complètement de ma vue au tournant de la rue, mais je n'étais pas le seul. Mathis aussi n'avait pas fait demi-tour. Lui aussi avait regardé le véhicule s'éloigner, jusqu'à ce que son père ne revienne le chercher. Mathis s'était rassis à sa place, mais pour autant je rechignais à baisser le frein à main. Son père, lui, n'avait pas perdu de temps et était passé à côté de ma voiture. Mathis avait plissé les yeux en la regardant, comme s'il essayait de voir qui était au volant. Heureusement, je portais mes lunettes de soleil et mes vitres sont teintées, aussi je pense qu'il n'a pas pu me reconnaître. Les yeux sur mon rétroviseur, j'avais attendu qu'eux aussi partent complètement avant d'abattre rageusement mon poing sur le volant et de laisser libre cours à mes larmes.

17 ans mais je t'aime (1ère version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant