Chapitre 28

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Point de vue Yann

Je ne crois pas avoir dormi depuis des jours, mais alors que je plonge mon regard dans celui de Colt... Je réalise que lui non plus. Il n'est pas seulement pâle et épuisé physiquement. Je vois que mon acharnement commence à jouer sur son mental aussi.

Il paraît avoir le double de son âge, alors qu'il est couvert de sang et défiguré.

Je sais que j'aurai dû retirer mon poing américain... Mais lorsque je vois les cicatrices sur sa peau, quelque chose s'apaise dans ma poitrine.

C'est tout ce qu'il mérite.

Après avoir approché et respiré le même air que Louisa, il mériterait bien pire.

Alors, chaque jour, je reviens et je m'occupe de lui. Tandis que je vois clairement les soins qui lui ont été apportés par Mathilda, je gâche tout en le blessant encore et encore. Je ne veux pas qu'il guérisse ou se rétablisse. Il n'en a pas le droit.

Rien que penser à ce qu'il a fait à Louisa me donne envie de lui enfoncer mon poignard dans le cœur. Elle mérite que je la venge, qu'il souffre physiquement autant qu'elle a souffert émotionnellement.

Mais je garde une certaine retenue. Je préfère le torturer, petit à petit, lentement, jusqu'à lui faire perdre la tête... Plutôt que le tuer d'un seul coup.

Inconsciemment, je sais que je prends mon temps pour ne pas revenir à la réalité, mais... Je ne veux pas. Je ne peux pas m'arrêter au risque de réaliser que lorsque je sors d'ici, Lou n'est plus là.

Alors je prolonge la torture, jusqu'à ce que mon cerveau s'efface et que mon esprit n'en puisse plus. Alors, enfin, le vide dans mon cœur n'est plus si profond et sombre.

Je sais que je dépasse les bornes. Je m'en suis rendu compte lorsqu'Elijah est venu m'aider, il y a deux jours. Lorsque j'ai vu le respect et l'acceptation dans son regard, j'ai su que j'avais dépassé toutes les limites...

Mon Dieu, ce fou furieux me respecte maintenant. Jusqu'à présent, il me tolérait, mais après avoir vu la façon dont j'ai éclaté la gueule de Colt et vengé l'honneur de Louisa...

Il m'a tapé dans le dos et a hoché respectueusement la tête.

Je sais que je devrais tout de suite me calmer face à cette réalité dans laquelle Elijah et moi sommes similaires. Pourtant... Non.

Je le comprends aussi.

Lorsqu'il avait torturé l'agresseur de Noémie, il y a quelques années, je le prenais pour un fou. Maintenant, je reproduis le même schéma parce qu'un homme a osé toucher à Louisa. Peut-être que je suis aussi fou que lui. Peut-être que l'amour est la pire des folies.

Alors, de temps en temps, il vient m'aider. Il n'intervient pas dans la violence physique, mais il me serre de bras-droit. C'est devenu un moment si sombre et si brutal, que mon esprit s'efface durant ces quelques heures.

Elijah est assis sur une chaise, dans un coin, et nettoie mes outils. Il aiguise mes poignards, me ramène des nouvelles armes, change l'eau de la bassine pour me permettre de me rincer les mains pleines de sang...

Et il me fait rester sur terre.

Il a compris mon besoin de décharger mes émotions, alors dès qu'il voit que je disjoncte, il me ramène à la réalité. Il m'écarte de Colt et ne me permet pas de me noyer dans ma haine.

Même si je l'ai toujours vu comme un fou furieux insensible, il ne l'est pas. Il ressent les choses avec tellement d'intensité qu'il comprend ma perte de contrôle et me soutient.

Il est le seul à me comprendre.

— Doucement...

Son rappel à l'ordre me fait cligner des cils alors que je réalise avoir enfoncé mon poignard dans l'épaule de Colt.

Lentement, je le retire et Elijah est déjà à mes côtés, plaquant un tissu sur la blessure. Il me fait signe d'aller me rincer les mains alors qu'il s'occupe du corps suspendu du blessé.

Ces séances de torture aident mon esprit, tout en l'embrouillant encore davantage. Je ne sais plus exactement ce que je veux et ce que je vaux.

Faire partie des Black Bikers force une certaine part de mon esprit à s'immerger dans la noirceur depuis toujours. Mais je n'avais jamais été à ce point...

Je n'avais jamais été aussi loin.

Louisa a toujours été là pour me maintenir à la surface.

Mais maintenant qu'elle m'a quitté et que je détiens le salaud qui lui a fait du mal... Je ne sais plus ce que je dois faire. La seule chose qui me maintient debout est la torture que je lui inflige et qui se répercute sur mon propre esprit.

— Il s'est évanoui.

Je hoche la tête en utilisant l'eau propre de la bassine pour m'asperger le visage. Aussitôt, je me sens mieux et m'écroule dans la chaise derrière moi en me craquant la nuque.

— Son cœur ?

— Lentement, mais ça va aller. Je vais demander à Damian d'appeler la docteure Gray.

J'approuve d'un mouvement.

Quand il s'assoit à côté de moi, je suis épuisé et faible. Je n'ai donc pas le temps d'intercepter ni son regard, ni son coup de poing dans l'épaule.

— Je comprends ce que tu ressens, mais... Noémie me demande si tu vas bien. Je n'aime pas lui mentir, tu sais, alors je ne dis rien et ça semble l'inquiéter.

J'esquisse un sourire.

J'ai encore du mal à imaginer Noémie, la petite libraire si douce et si calme, sortir avec ce grand fou furieux, mais elle semble apaiser quelque chose en lui... Tout comme il semble réveiller quelque chose en elle.

— Tu peux lui dire que ça va.

— Je n'aime pas lui mentir.

J'arque un sourcil et pose mon regard sur lui.

Ses cheveux décolorés ressortent davantage sur sa peau bronzée, tandis que ses grands yeux verts m'observent attentivement.

— Pourquoi ce serait un mensonge ?

— Parce que ça l'est. Tu ne vas pas bien. Actuellement, j'en ai rien à foutre que tu sois mon vice-président. Je te vois seulement comme un frère et je sens à quel point tu es mal.

Il hausse les épaules alors que je fronce les sourcils. Elijah n'est pas du genre à faire des déclarations comme ça. Qu'est-ce que Noémie a bien pu lui faire pour le rendre si... humain ?

— Je veux bien être là pour aiguiser tes poignards et te trouver de l'acide à jeter sur ses plaies, mais à un moment, il faudra que tu réalises que ça ne changera rien au monde réel. Ce qui se passe ici est une bulle hors de la réalité. Quand tu quittes cette pièce, tu redeviens Yann, le vice-président du club. Ici, tu n'es que le monstre de tes émotions. Et c'est OK pour moi. Mais pour toi ?

Ses paroles tournent en boucle dans mon esprit, mais je les rejette d'emblée.

La réalité, le monde extérieur, ma vie... n'a plus aucun sens ces derniers temps. Je n'en veux plus. Je me sens seul, faible et fatigué. Je ne veux pas de tout ça alors que Louisa n'est plus là. Ça sert à quoi ?

Alors, je secoue la tête en me relevant et attrape un tire-bouchon. Il s'agit de la dernière arme trouvée par notre brillant cerveau de psychopathe. C'est parfait pour oublier le reste.

— Très bien, marmonne-t-il finalement. Dans ce cas, tu préfères le tire-bouchon classique ou l'électrique ?

J'esquisse un sourire malgré moi amusé et hausse les épaules.

— Il a deux jambes... On pourra tenter les deux.

— Parfait.

ig : juciebg_

Black Bikers, Tome 7 : La lynx obstinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant