𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏 | 𝐋𝐀𝐄̈𝐒𝐀

282 16 27
                                    

Laësa.

Le Zénith Sud, Montpellier,

01:42 am

You were the best, but you were the worst, as sick as it sounds I loved you first

Gracie Abrams - I Love You, I'm Sorry

*

Ça va aller.

Alors que les notes envoûtantes de "So What" de P!nk emplissent la pièce, nous exécutons notre chorégraphie avec une synchronisation millimétrée parfaite. Je me redresse, laissant mes paumes reposer sur mes genoux, mes longues mèches châtain suivant le mouvement de ma tête. D'un souffle prolongé, je renverse celle-ci en arrière avant de me déplacer vers le fond de la salle, pirouettant comme une ballerine sur le bout de mes demi-pointes.

La musique s'interrompt soudainement et nous prenons position au centre de la scène, nos visages rayonnant d'un sourire immense.

Une vague d'applaudissements résonne à travers la salle de spectacle alors que le public nous acclame. C'était notre dernière représentation de la saison, le fruit acharné de nos répétitions. Malgré la tristesse qui obstrue ma gorge, nous nous rassemblons en cercle, nos onze têtes reposant sur les épaules des autres, encore essoufflées par la choré plus cardio que les précédentes.

Nos poitrines se soulèvent frénétiquement, mais nos visages affichent une béatitude inébranlable. Le public doit percevoir la symbolique de cette étreinte collective, car les applaudissements se poursuivent sans faiblir. Peu importe si cela perturbe l'ordre établi des danses, ou si Zélie frôle le burn-out à cause du stress, je m'en moque. C'est ma dernière représentation. C'est étrange de penser qu'elles seront encore ensemble l'année prochaine, pour leur dernière année, alors que je serai à des milliers de kilomètres d'ici, d'elles, de l'ensemble de ce que j'ai bâti à coup de larmes et de sueur pendant mes seize années montpelliéraines.

7000 kilomètres loin du reste de ma vie, en fait.

Nous quittons la scène sous les applaudissements. Nous retirons rapidement les imposantes plumes qui ornent nos têtes pour enfiler les longues robes blanches de bohémiennes choisies par Zélie et son équipe pour le final. Les lumières sont éteintes. Les coulisses du Zénith grouillent d'activité et d'adrénaline. Au loin, une Orange fixe ses cheveux avec de la laque sous les regards noirs des parents bénévoles. Je passe mes doigts dans mes cheveux attachés en chignon des années 1920, retouche une dernière fois mon maquillage dans un miroir de poche tout en riant à une blague de Lisa, tentant d'ignorer le sentiment de tristesse qui pèse sur mon cœur et serre fort ma trachée depuis la fin de l'entracte.

Nos pieds enracinés dans le sol de scène, dissimulées par les rideaux lourds des coulisses, nous nous prenons les mains et nous nous élançons sous les projecteurs brûlants à toute allure, nos visages illuminés par de larges sourires alors que la chanson choisie par le final entraîne les applaudissements de toute la salle.

Grâce à la lumière, je distingue sporadiquement les reflets des coques de téléphones capturant chaque instant du final. J'aimerais ne jamais quitter cette scène, effectuer ma pirouette de salut à l'infini avant de me pencher en avant, heureuse, pour l'éternité. Un sourire fier se dessine sur mes lèvres alors que nous effectuons en cascade la minuscule chorégraphie pour saluer, avant de nous reprendre nos mains moites et de reculer pour laisser place au groupe de filles plus jeunes que nous, les Oranges.

Les acclamations continuent de résonner dans toute la salle, mêlés aux claquements de pieds et aux sifflements qui récompensent notre travail entêté. Malgré les ecchymoses et les chevilles endolories – et Dieu sait combien de fois je me suis retrouvée avec la malléole immobilisée –, nous avons offert un magnifique spectacle. Le dernier, pour ma part, alors que j'ai grandi avec Zélie et avec quelques filles du groupe.

RENEWALOù les histoires vivent. Découvrez maintenant