𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟏 | 𝐋𝐀𝐄̈𝐒𝐀

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Laësa.

Nos dimos todo lo que se nos dio.

                Leon Larregui, Brillas

*


Sullivan, Missouri,
7 pm

Ma main calée contre la poignée de ma valise, je prends une grande inspiration, espérant dénouer les nœuds présents dans mon ventre. La poignée de la porte d'entrée s'abaisse et la silhouette paternelle se dessine dans l'encadrement. Je me raidis et les muscles de ma paume se crispent autour du pommeau.

Ce n'est pas du dégoût que je ressens, mais plus une sortie d'apathie et de rejet envers le fait que je sois obligée d'aller chez lui. J'ignore pourquoi j'ai ces émotions à son égard, j'aimerais réellement savoir la raison mais j'ai beau me questionner pendant des heures en tournant dans mon lit tard le soir, c'est vain. Rien ne me vient à l'esprit.

Comme si aller chez Papa était devenu un devoir, une sorte de promesse à laquelle on s'est engagé, occultant tout plaisir de le voir ou d'aller chez lui. Rien qu'un grand vide et une sorte de répulsion à faire le chemin jusqu'à chez lui.

– Lucas, l'accueille froidement ma mère.

Elle a les bras croisés sur un chemisier couleur bordeaux, ses cheveux châtains rassemblés dans un chignon rapide, des boucles d'oreilles asymétriques pendant à ses oreilles. Il est vêtu d'un t-shirt enveloppant son corps fin et sa silhouette svelte, ses cheveux grisonnant sur sa tête. Ils se font face et nous sommes entre eux, Thomas et moi. Ils se dévisagent longuement, maman le regardant avec un mélange de tristesse et de résignation tandis que mon père a un visage très fermé à son égard. Je mords ma lippe inférieure, battant furieusement des cils dans le but d'empêcher les larmes de dévaler mes joues.

Sois forte, putain.

J'ai toujours détesté pleurer devant des inconnus et le fait que je me retienne de pleurer devant mon géniteur montre à quel point nos relations se sont dégradées.

Je n'ai aucune envie d'aller chez mon père. Quand il s'est installé seul à Montpellier, après un an de longues péripéties, nous avions enfin trouvé un rythme qui nous convenait à tous les trois. Papa posait son téléphone au lieu d'être tout le temps en sa compagnie, éteignait la télé, coupant le fond sonore incessant qui nous accueillait lorsque que nous posions un pied sur le couloir carrelé de son appartement avenue Saint-Lazare. J'avais l'impression d'avoir retrouvé mon père, celui qui n'aurait jamais embrassé une inconnue dans un bar à Chamonix sous le coup de l'alcool. Mon ancien prof de latin au collège nous avait glissé un jour, au détour d'un cours sur Dionysos, que l'alcool ne faisait pas faire des choses que l'on ne souhaitait pas faire, il agissait uniquement sur notre pudeur et les barrières que l'on s'était érigées.

Ce qui fait le plus mal dans tout ça, c'est que cela veut dire que mon père a voulu embrasser Sarah. Il y a pensé et en crevait d'envie, jusqu'à ce que l'alcool le désinhibe et lui offre la possibilité. Qu'il a saisie.

Dans tout cela, il n'a jamais songé à maman, ni à ce qu'elle allait ressentir, seulement son nombril.

Mais sa mutation a tout fait écrouler comme un château de cartes.

– Thomas, Laësa, nous salue mon père en nous voyant.

Mes traits se crispent. Je n'ai aucune envie d'aller chez lui, revoir Sarah, sa nouvelle copine, deuxième fautive du divorce de mes parents, faire des réflexions dans mon dos sur tout ce que je fais. Je ne veux même pas poser un pied dans ma nouvelle chambre vide, je ne veux pas avoir à partager du temps avec eux. 

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