305 Fisher Dr, Sullivan, Missouri,
8:45 pmIs this the place we used to love?
Keane - Somewhere Only We Know
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( écoutez cette chanson en lisant ce chapitre, please )
Je me rappelle avec précision lorsque je me suis éveillée à l'hôpital, une aiguille de morphine perfusant sa drogue à travers mon sang, comme si cette substance pouvait panser mon cœur fracturé. Je portrais toujours Antoine. Sans précisions, sans détails, juste lui, les yeux fermés, qui s'est mis sur moi pour me protéger d'une fatalité. Cette image me hante, bien plus que tous nos bons souvenirs à lui et moi. Elle me rongeait assise à l'hôpital. Taraudait dans mes rêves. Obnubilait dans ma galerie de photos jusqu'à ce que je connaisse chaque photo par cœur. Je revois ma mère, ses doigts entremêlés aux miens, ses cheveux teints ramenés dans une queue-de-cheval fatiguée, un air exténué sur ses traits. Je me souviens aussi de ses yeux rougis, le regard sombre de Papa. Bien sûr, les câbles et les machines.
– Où est Antoine ? me souviens-je d'avoir articulé.
Leurs regards se sont voilés en une seule seconde. Seul le silence m'a répondu. J'ai compris. Ce n'était pas bien difficile, la perte d'un enfant et d'un frère laisse des séquelles irréversibles.
– Oh, Laësa, a soufflé Maman.
Elle a déposé ses lèvres sur ma main. Moi, mon souffle s'était coupé dans ma poitrine. Antoine était mon oxygène, mon tout, il était ma Terre et j'étais sa Lune... Mais il faut croire que les scientifiques avaient raison, la Lune est contrainte à s'éloigner irrémédiablement de la planète mère afin d'errer dans les confins de l'Univers.
Je ne me rappelle pas très bien ma sortie de l'hôpital et encore moins l'enterrement. Tout est trouble dans ma tête à cette période là. Malgré les multiples explications du docteur, je n'ai jamais vraiment intégré la cause de sa mort. Je pense que si j'en avais connaissance, cela ferait tout aussi mal. J'espère au moins qu'il n'a pas souffert. A mes yeux, Antoine était mort dans cet accident en me protégeant. Pourquoi moi ? Pourquoi pas nous deux ou tout simplement moi ? Pas mon grand-frère. Ce roc, mon tout, le pilier existentiel de ma vie sur lequel tout reposait... Disparu. En clin d'œil et de doigts. Résumé à une simple gravure sur une pierre tombale à Montpellier, la vie où il était né et mort en essayant de s'en échapper. Rien qu'un Antoine Naël Mathieu, 2000-2021, regretté par tous.
Ce soir, revoir du football américain m'a fait repenser à lui, mais dans le bon sens du terme : je nous revoyais tous les deux, dans son lit toujours défait, à baisser le son de la télé lorsqu'une latte craquait dans le couloir en pouffant d'excitation, à huer les opposants des Orlando Predators sans les cordes vocales ou avec Janelle pendant que mon frère subissait sans s'abstenir de commentaires sur le film à l'eau de rose que nous regardions en plein été, sa copine et moi, chassant les moustiques à l'aveugle. Je me suis remémoré les rires, les œillades complices, notre dernière poignée de mains, notre dernier rire ensemble. Notre voyage.
– Et tu sais quoi ? Le pire, c'est que c'est moi qui l'ai tué, m'étouffé-je en levant mes yeux vers lui.
Je me dénude, le laisse apercevoir entièrement mes cicatrices encore purulentes et suintantes de douleur. Lui aussi sait quel vide se creuse en nous lorsqu'on perd un membre de sa famille. Il l'a vécu lui aussi. Plus jeune. Ses souvenirs doivent probablement être flous tandis que les miens, eux, sont intacts. Nos peines sont si semblables mais si différentes. La sienne a guérie. La mienne n'a jamais vraiment eu l'occasion de le faire, j'ai presque mis un point d'honneur à essayer à ce qu'elle se referme en aucun cas. Cette plaie, cette douleur lancinante à la poitrine, est le reliquat de ce qu'il m'a laissé, de son passage dans ma vie. La dernière chose qu'il m'a laissée, à tout jamais.

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RENEWAL
Romance« 𝐒𝐢 𝐩𝐚𝐫 𝐡𝐚𝐬𝐚𝐫𝐝 𝐪𝐮𝐞𝐥𝐪𝐮'𝐮𝐧 𝐚𝐩𝐩𝐫𝐞𝐧𝐝 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐧𝐨𝐮𝐬, 𝐣𝐞 𝐯𝐞𝐮𝐱 𝐪𝐮𝐞 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐜𝐡𝐞𝐬, 𝐚𝐦𝐨𝐫𝐞 𝐦𝐢𝐨, 𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞 𝐧'𝐚𝐢 𝐚𝐮𝐜𝐮𝐧 𝐫𝐞𝐠𝐫𝐞𝐭. » Laësa s'est envolée vers les États-Unis, fuyant sa famille brisé...