𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟐 | 𝐓𝐇𝐄𝐎𝐃𝐎𝐑𝐄

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East Vine Street, Sullivan, Missouri,
8:25pm

Don't pretend to be okay when you're not okay
Don't pretend to be happy when you're sad

XXXTENTACION - let's pretend we're numb

*

Je me souviens, lorsque toute la famille retournait en Sardaigne lors des vacances scolaires, que sur le trajet, Maman nous racontait inlassablement une légende qui l'avait bercée et nous a marqués avec Jacob, celle des Janas. Ce sont de minuscules fées qui vivraient dans des cabanes en pierres, des nuraghi. Selon les dires de ma mère, elles tissaient des fils d'or à la lumière de la Lune et veillaient sur le sommeil des enfants. C'est pour cela que Maman portait une fée en pendentif ou qu'elle nous murmurait des paroles en italien tout en accrochant des guirlandes dans nos chambres, à Jacob et moi. Cependant, lorsque j'ai creusé cette légende maternelle, j'ai découvert qu'elles étaient une sorte de passeur entre la mort et la résurrection, car les grottes des fées étaient en réalité des tombes ou en tout cas, des lieux funéraires.

Sur le terrain de football, je lève les yeux vers le ciel et repense à ma Maman. Dans le ciel, les nuages bleu-gris masquent celui-ci. Je peine à distinguer Vénus dans toute cette brume, alors je me contente de penser fort à elle dans cet instant de victoire. Je lui répète que je l'aime et qu'elle me manque. C'est presque devenu une rengaine, après chaque match important.

Là, les Eagles ont gagné, ce qui nous fera affronter Shakopee, dans le Minnesota. La rencontre aura lieu dans un mois tout pile, leur rouge nordique combattant notre noir et doré central.

Une fois que nous sortons des vestiaires, une bonne trentaine de minutes plus tard, douchés et en tenue de civils tout en nous félicitant entre coéquipiers, j'accoste Thomas qui semble se morfondre tout seul à la fin de la file de joueurs heureux. Je ralentis le pas pour qui parvienne à ma hauteur et le dévisage sous mes mèches blondes encore humides. Il me jette un regard par-dessus ses sourcils ourlés et je sens mon cœur se tordre dans sa poitrine. Après tout, c'est toujours mon meilleur ami et je ne peux pas rester indifférent devant sa morosité.

– Tout va bien ?

Il acquiesce et se redresse en bombant subtilement le torse. Contrairement aux autres, il semble moins enjoué par notre succès sur le terrain que les autres membres de l'équipe. Pourtant, c'est grâce à lui qu'on a empêché Cyrus de marquer un dernier point signalant leur victoire.

– Tu devrais être le fullback le plus chanceux de la Terre, pourquoi tu l'es pas ? insisté-je devant son manque de réponse.

– Oh je t'en prie, je n'ai fait que bloquer leur quaterback, se déprécie-t-il en haussant les épaules.

Je cligne des yeux, stupéfait. S'il ne l'avait pas fait, le quaterback aurait pu marquer. Ce soir, Thomas a joué à merveille le rôle que Coach nous a attribué. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il est tout d'un coup maussade.

– Tu nous a assuré la victoire, c'est pas rien, allégué-je en haussant le ton pour que les gars devant lui remontent un peu plus le moral.

Gabe, le flanker, fait volte-face et renchérit :

– T'as même pas eu besoin de moins, tu t'es débrouillé tout seul champion !

Pour mon plus grand plaisir, Thomas esquisse un sourire face au compliment. Je suppose que cela doit avoir plus d'importance lorsque c'est un inconnu qui l'assure plutôt que son meilleur ami. Une nouvelle fois, en ne laissant pas mon meilleur ami être malheureux, je rends ma mère un peu plus fière.

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