RENEWAL

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟑 | 𝐓𝐇𝐄𝐎𝐃𝐎𝐑𝐄

Castelsardo, Sassari, Sardaigne
12pm

I made it all look painless/ Man am I the greatest?

Billie Eilish - THE GREATEST

*

Je suis accoudé au garde-corps en pierre de la demeure familiale des Sanna, la famille de ma mère, pour fumer. L'atmosphère à l'intérieur de la demeure familiale était trop lourde à supporter, trop asphyxiante pour être recommandée par les médecins qu'ils sont.

Noël, ce n'est qu'un enfer quand on a une famille comme la mienne, tous chirurgiens de père en fils ou institutrices de mère en fille. Jacob sera chirurgien. Chacun des Sanna songe que je serais perpétuerais l'héritage familial. Tout me destine à la carrière tracée pour moi, avec mes longs doigts fins et mon habitude du sang. Presque le contraire de Jacob, mon frère, qui continue ses études de chirurgie alors qu'il s'évanouit quand il voit une seringue. Pourtant, lui, il possède la volonté. De mon côté, je possède un sentiment encore plus ravageur, la répulsion.

Je répugne rentrer dans la case qu'ils ont façonné pour moi. J'abhorre mon père d'avoir choisi à ma place mes majors et de ne m'avoir laissé le choix que sur les mineures. Je déteste la science, l'anatomie, les mathématiques. Ce qui m'anime, c'est la psychologie, l'étude du cerveau humain dans ses réactions.

Cependant, personne ne semble le prendre en compte chez les Sanna et chez les Lovett. Néanmoins, je suis persuadé que Maman m'aurait soutenu si j'avais voulu sortir du rang. Maintenant qu'elle est dans le caveau des Sanna... Je suis seul face à un banc de requins bien plus coriace que je ne l'imaginais.

J'exhale une bouffée de nicotine qui dessine dans le ciel étoilé un nuage sombre. Mes grands-parents ont acheté cette propriété dans les années soixante-dix, avec le jardin presque exotique contigu à la demeure. Les grandes fenêtres à la peinture bleue n'ont aperçu que le malheur de leur progéniture, rien que la vie étriquée et stricte de mes grands-parents.

Le repas s'éternise depuis longtemps, nous sommes sortis de table vers seize heures pour y retourner à vingt-et-une heures. A ce moment, c'est minuit et les assiettes du plat viennent juste d'être débarassées, ma Nonna versant le café dans les tasses que lui tendent mon Nonno et mon géniteur. J'ai quitté la table afin de profiter de la fraîcheur de la nuit pour fumer tranquillement, loin de leurs questions sur mon avenir ou sur quelle université je compte intégrer à la fin de l'année.

je pianote un message à Laësa. Elle me manque affreusement, être fusionnels à séparés nous brisent le cœur. Ce soir, elle célèbre Hannouka avec la famille de sa mère, nous avons donc repoussé notre appel à demain matin. Je m'en voudrais d'interrompre un moment de famille qu'elle voit déjà peu juste parce qu'elle me manque.

> Moi : Je t'aime amore mio, profite bien de toute ta famille

– Tu vas te niquer les poumons et choper un cancer à vingt ans, ironise mon frère.

J'écrase mécaniquement le bout embrasé de ma clope sur la pierre du balcon pour l'éteindre. Il vient d'arriver en passant par les baies vitrées si silencieusement que je n'avais pas vu arriver vers moi. Aussitôt, je verrouille l'écran de mon téléphone et arque un sourcil en direction de mon frère.

– Alors, elle va comment ?

Il se met à côté de moi, les coudes posés sur le rebord en pierre granuleuse et sort un cylindre de couleur jaunâtre qu'il allume à l'aide du briquet que j'ai laissé en plan sur le granit. Il prend une bouffée de shit ou autre herbe que j'ai inhalée il n'y a pas si longtemps, se complaisant dans son silence jusqu'à ce que je finisse par lui prendre la parole. Je ne peux pas croire qu'un futur chirurgien se drogue consciemment, un soir de Noël en plus.