8. Embuscade

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Le crâne rasé et vêtue comme l'aurait été un véritable petit garçon, je me sentais quelque peu défigurée. Thomas quant à lui, avait troqué son uniforme troué et tâché de sang pour les simples vêtements portés par la plupart des petites gens que nous croisions. Il avait en outre opté pour une teinture qui lui donnait maintenant une chevelure couleur corbeau.

De surcroît, Adalbert, dans sa grande générosité, nous avait fait don d'un vieux poney cagneux répondant au nom de Clip-Clop. Une bête disgracieuse et malodorante, mais pourtant capable de nous porter sur de longues distances sans trop éveiller l'attention. Aux yeux de tous, nous étions devenus deux frères partis rejoindre leur vieille tante agonisante qui résidait très loin.

Le cœur plein de reconnaissance, nous dîmes alors adieu à Adalbert et au Cirque des rêves. Le destin des artistes les attendait loin au sud alors que le nôtre se jouerait au nord.

Il me fallut un certain temps pour oublier mon amertume que j'éprouvais envers Thomas. A cause de lui, nous étions à nouveau lancés dans un long périple alors que la sécurité et le confort du Cirque des rêves, sous la protection d'Adalbert, nous tendaient les bras. Mais peu à peu, je ravalai mon aigreur en comprenant les motivations de Thomas. Il savait qu'à cause de moi, la rumeur de notre présence n'allait pas tarder à se répandre dans toute la région et alerter nos poursuivants, mettant en danger la troupe entière du cirque. Et ça, il n'en était pas question.

La première partie de notre voyage se passa sans encombres mais en un désolant silence. Thomas gardait la bouche désespérément close, me signifiant ainsi son mécontentement. En désespoir de cause, juchée sur la croupe de Clip-Clop, je promenai mon regard sur le monde qui nous entourait. C'était la première fois que je m'aventurais si loin de la maison qui m'avait vu naître, et tout me semblait si étrange, si nouveau, que j'en avais la tête qui tournait. Les bagnoles rouillées gisaient en si grand nombre sur le bas-côté que je regrettai cruellement l'absence d'Adalbert, qui aurait pu m'en dire plus à leur sujet. Même la matière noire et dure qui recouvrait la route m'était inconnue. Je voulais tout savoir de ce monde oublié dont je découvrais à peine l'existence grâce ses vestiges disséminés.

Je sentais mon esprit s'éveiller peu à peu sous le flot des mille questions qui venaient l'assaillir quand, brutalement, Thomas stoppa Clip-Clop. A quelques mètres devant nous, à l'endroit où la route traversait un bosquet de pins, gisait un corps, immobile et vraisemblablement mort. De notre position, il nous était impossible de discerner s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, ni même d'estimer son âge.

-Reste-là, m'ordonna-t-il.

Son regard inflexible me dissuada de lui désobéir une fois de plus. Il descendit de cheval et s'approcha avec précaution du cadavre, sur lequel il se pencha avec une infinie prudence.

-Plus un geste. Les mains en l'air ! gronda une voix en provenance du bosquet.

Thomas s'exécuta, ignorant à qui il avait affaire.

-Que voulez-vous ?demanda-t-il d'une voix tonnante.

-Le cheval et tous vos vêtements. Après, on décidera de ce qu'on fera de vous. Peut-être bien qu'on sera gentil et qu'on ne vous amochera pas trop.

Un rire strident suivit cette déclaration. Tout à coup, le mort, qui n'en était finalement pas un, se remit rapidement sur ses deux pieds, un long gourdin dans les mains. L'individu portait un masque grossier aux traits hideux qui dissimulait son propre visage. Son compère, vêtu d' un  semblable costume, ne tarda pas à émerger des broussailles,  tenant un arc bandé, prêt à décocher une flèche au moindre signe de rébellion de notre part.

-Tsss. C'est tellement facile de piéger les crétins de votre espèce. C'en est écœurant, ricana l'archer.

D'un œil, il s'avisa de ma présence.

-C'est ton frère, j'imagine? Drôle de tronche. Enfin, on s'en occupera après. T'entends le morveux ?

-Ne le touche pas. Tu pourrais le regretter.

La voix de Thomas était froide, chargée d'une menace à peine voilée. Je savais d'ores et déjà de quoi il était capable et ce qui risquait d'arriver d'une seconde à l'autre. Mais aurait-il la force de maîtriser ainsi deux brigands ligués contre lui ?

-Allons, allons. Deux gosses pouilleux et sans armes ne peuvent rien contre nous. Collaborez et tout se passera bien. Allez, zou ! Toi, le pt'it descends de là qu'on puisse prendre la bête. On aura de quoi bouffer pendant un moment avec toute la viande qu'elle pourra nous donner.

Bien qu'ulcérée par ce que je venais d'entendre, je m'apprêtai, pour une fois, à obtempérer sans discuter mais Thomas fut le plus prompt à réagir.  Malgré son épée restée accrochée à la selle de Clip-Clop, son attaque fut aussi foudroyante qu'impitoyable. D'un coup de pied magistral, il arracha l'arc des mains de son propriétaire avant de l'envoyer dinguer d'un coup de poing ravageur qui produisit un horrible bruit de craquement en rencontrant sa mâchoire. L'individu s'effondra dans un hurlement de stupeur mêlé de douleur. Décontenancé, son compagnon se mit à trembler de tous ses membres, jusqu'à en lâcher son gourdin. N'y tenant plus, le pleutre tourna les talons et décampa sans demander son reste.

La bataille s'acheva donc en quelques secondes à peine. La mine fière, Thomas tourna le dos à son adversaire, étendu, les bras en croix, respirant avec difficulté, la bouche noyée de sang et s'empara de son épée. Il en posa ensuite la pointe sur la gorge du vaincu.

-Parle si tu veux vivre encore un peu. Où est le Mouillard ?

Pas de réponse, hormis un gargouillis vaguement articulé. Le blessé secoua la tête en signe de dénégation. N'y tenant plus, Thomas, de la pointe de sa chaussure, fit voler le masque qui recouvrait les traits du malandrin et retint un cri de stupeur. M'approchant à mon tour, je sursautai. C'était un jeune garçon, sans doute pas beaucoup plus âgé que moi qui gisait, les yeux fous de terreur braqués sur le visage impavide de Thomas.

-Réponds. Tu es de la bande du Mouillard ?

Nouveau signe négatif de la tête.

-Tant pis pour toi. Soit tu es un menteur soit tu ne m'es d'aucune utilité. Adieu !

Il leva son épée, prêt à donner le coup de grâce.

- Non !

C'est moi qui avais hurlé ainsi, horrifiée par ce que Thomas s'apprêtait à faire. Certes, il m'avait sauvée en tuant lui-même des hommes, mais ici la situation était différente. C'était bel et bien un meurtre qu'il allait commettre sous mes yeux.

Contre toute attente, il suspendit son geste.

- Tu veux que je l'épargne, Morgane, c'est ça ?

J'approuvai du menton mais il cracha sur le sol en guise de mépris.

- Tu crois qu'il t'aurait épargnée si je n'avais pas été là ?

Je n'en savais rien. Mais c'était un enfant, comme moi, comme Thomas. Quelque chose au fond de moi me laissait penser qu'il volait les voyageurs qu'il croisait pour se nourrir, peut-être, tout simplement. Rien n'indiquait qu'il s'agissait d'un authentique assassin, bien au contraire. Mais je n'eus pas le temps de dissuader Thomas d'aller au bout de ses intentions. Je détournai la tête au moment où il frappa.

Il y eut un cri déchirant puis plus rien.

Avec effroi, je me résignai à regarder une nouvelle fois le spectacle de la mort. Or, je ne vis pas ce que je m'attendais à voir. La lame de Thomas était enfoncée dans le sol à quelques centimètres à peine du garçon terrifié.

-Va. J'ai décidé d'épargner ta vie.  Maintenant, fiche le camp avant que je ne change d'avis.

Le jeune brigand ne se le fit pas dire deux fois et détala comme un lapin, sans demander son reste. Lorsqu' enfin, il fut hors de vue, Thomas me décocha un grand sourire.

-Merci, me dit-il, simplement.

Je lui répondis avec le même sourire et ceci scella définitivement notre réconciliation.

-Un bienfait n'est jamais perdu, lui répondis-je, citant les paroles de ma mère.

Thomas les approuva en silence

Les uniques perdantes dans cette affaire furent le deux corneilles qui s'envolèrent en croassant de dépit...



Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant