31. De Charybde en Scylla

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Lorsque j'ouvris les yeux, je me sentais étrangement bien. Étendue dans des draps de soie, je pouvais sentir la douce chaleur des rayons du soleil qui me baignait. Ouvrant les yeux, je vis que je me trouvais dans une grande chambre lambrissée de somptueuses boiseries. Je me glissai hors du lit et effectuai quelques pas hésitants sur la moquette impeccablement entretenue. La lumière du jour se déversait à grands flots à travers une haute fenêtre entrouverte. J'étais avide de goûter à nouveau à la pureté de l'air libre après avoir inhalé tant de miasmes fétides. Mais, avant tout, il était un objet qui m'attirait irrésistiblement. Le miroir psyché au cadre finement ouvragé qui se trouvait au fond de la chambre, attendant de recueillir mon reflet.

Je poussai un cri déchirant en découvrant ce que j'étais devenue...

Enveloppée dans une simple chemise de nuit en flanelle, je n'étais plus qu'une pauvre petite chose décharnée, tenant à peine debout grâce à deux jambes aussi fines que des baguettes de saule. Mon visage s'était creusé, me faisant ressembler à une tête de mort, tandis que sur mes frêles épaules cascadaient de longs cheveux devenus blancs comme neige. Je ne m'étais pas encore remise du choc que venait de me causer le spectacle de ma nouvelle apparence qu'une voix derrière-moi me fit sursauter puis frémir d'horreur. Cette voix, je l'avais déjà entendue le jour où ma mère ainsi que Tante Louison avaient rendu l'âme. Cette voix sifflante, obséquieuse, mauvaise, porteuse de sombres présages. J'espérais que ce n'était pas vrai, que ça ne pouvait être vrai. Et pourtant, il était bien là !

Ignace Pangelpique venait de pénétrer dans la pièce à pas aussi lents que cérémonieux.

D'un sourire qui se voulait chaleureux et sincère, le vieillard découvrit des dents aussi pointues que celles d'un redoutable prédateur. J'en vins aussitôt à souhaiter retourner dans le noir absolu en compagnie de la Malveillance plutôt que de me trouver face à ce monstre humain.

« Alors, très chère ? Avez-vous bien dormi ? »

Son ton mielleux me souleva l'estomac. Je pouvais me ruer sur lui et le poignarder en plein cœur. Il ne s'y attendrait probablement pas et tout serait terminé en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Mais avec quelle arme ? En outre, j'étais presque nue et dénuée de force. Si j'étais vraiment une Macrâle comme me l'avait affirmé la Malveillance, peut-être aurais-je pu foudroyer mon ennemi juré d'un simple sortilège ? Inconsciemment, je tendis l'index dans sa direction, espérant que quelque chose se produise. Naturellement, rien ne vint. Aucun éclair crépitant ne le réduisit en cendres, nul bubon purulent ne vint le défigurer. Devant mon mutisme, l'Inquisiteur pencha la tête, la mine contrariée. C'était, en outre, sans compter sur la présence des deux brutes bardées de muscles qui l'encadraient, prêtes à intervenir au moindre signe d'alerte.

« J'espère que vous vous sentez bien, mon enfant. Mes médecins n'ont pas ménagé leurs efforts pour vous tirer d'affaire, vous savez ! Je suis fier d'eux. »

Il gloussa ridiculement. Je n'ouvris pas la bouche pour autant, me contentant de scruter avec attention ce vieillard crapoteux. Je savais de quoi il était capable. La Malveillance me l'avait montré, au temps de son adolescence, torturant et assassinant un homme, sans le moindre état d'âme. Je savais aussi quel pacte il avait conclu avec le monstre. Il avait souhaité le pouvoir et il l'avait obtenu. Cependant, il n'était pas aussi âgé qu'il y paraissait. Ce corps flétri et ridé demeurerait pour toujours un cruel rappel de l'accord qu'il avait passé avec la Malveillance, qu'il avait lui-même contribué à créer.

Pangelpique savait-il que j'avais connaissance de tout ça ? Sans doute pas, sans quoi il m'aurait déjà éliminée. Il ne pouvait cependant ignorer que j'avais rencontré la Malveillance. Et que j'avais survécu à cette confrontation. Mais pourquoi l'Inquisiteur avait-il pris la peine de soigner une pauvre fille des rues comme moi ? Quel intérêt avait-il pu y trouver ? Il ne tarda guère à me fournir un élément de réponse.

Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant