Beaucoup de Liégeois s'étaient réfugiés chez eux, lorsque s'était déclenchée l'émeute. Bien leur en avait pris, au vu du nombre effarant de corps mutilés qui jonchaient les trottoirs. Chacun avait cru qu'à la tombée de la nuit, le massacre serait terminé. Mais nul ne savait quelle était vraiment la situation. Le Prince-Évêque était-il encore en vie ? Saturnin et ses chevaliers étaient-ils parvenus à garder le contrôle? Tôt ou tard, il faudrait bien se résoudre à sortir, pour dénombrer, identifier et ramasser les morts.
Cependant, le vacarme d'un nouvel assaut venu des berges de la Meuse incita même les plus téméraires à rester cloîtrer chez eux, attendant que l'orage passe définitivement.
Morgane et moi n'étions que deux insectes perdus au sein d'un immense charnier, pataugeant dans le sang et les débris de toutes sortes. Malgré le ciel dégagé et la brillante clarté d'une lune bientôt pleine, nous réussîmes à passer inaperçus. Encore quelques minutes et nous parviendrions enfin à la cathédrale, dont la flèche s'élevait désormais à une faible distance.
-Merde !
Je venais de lâcher ce juron devant la barricade qui condamnait la rue que nous suivions.
Avant que n'ayons pu faire demi-tour, une voix nous interpella.
-Hé, vous deux ! N'avancez plus !
Une escouade de chevaliers de Saint-Lambert défendait la barricade, un jeune homme à leur tête. Cependant, les guerriers étaient loin d'en mener large. Ces chevaliers semblaient être encore des novices, tout juste sortis de l'enfance. Leurs armures étaient cabossées, noircies, souillées de sang séché et tous portaient les traces de profondes et récentes blessures.
-Gaël ! s'écria brusquement Morgane, à ma grande surprise.
Le jeune chevalier, portant un bras en écharpe, sursauta.
-Morgane ! Par tous les diables ! Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? Laissez-la passer, vous autres !
La barricade s'écarta aussitôt pour nous ouvrir le passage. Morgane tituba et s'effondra dans les bras du dénommé Gaël, sous mon regard aussi étonné que jaloux.
-Je sais que les filles aiment les cicatrices mais ce n'est pas une raison pour venir te jeter dans mes bras dans un moment pareil ! Je ne sais pas comment tu as pu sortir de Saint-Léonard, mais tu aurais déjà dû être loin d'ici ! Ils vont te repiquer, tu sais.
-Arrête Gaël, je t'en prie ! Ils vont tuer Thomas ! Il est à la cathédrale avec Ellie et Gernot. Je ne sais pas ce qu'il vont lui faire, mais...
Le chevalier repoussa doucement Morgane.
-Tu dis des bêtises. Thomas est mort depuis longtemps.
-Non, il ne l'est pas, je te le jure ! Mais ils ne vont pas tarder à le tuer ! Tu dois faire quelque chose!
-Faire quoi ? Tu en as des bonnes, toi ! Même si tu disais la vérité, nous ne pourrions jamais entrer dans la cathédrale. Elle est sévèrement gardée. Allez, viens dans mes bras et calme-toi.
Morgane se fit alors plus menaçante. Une brise se leva, portant des miasmes fétides, nous ébouriffant les cheveux. Elle repoussa Gaël avec violence. Elle avait, semblait-il, retrouvé l'essentiel de ses forces, comme si ce que lui avait subir Adalbert n'avait jamais eu lieu. En apparence, tout du moins.
-Boucle la, Gaël! ! C'est bien joli de jouer les paladins, pour le simple plaisir de se faire mousser devant les filles ! Mais quand on est incapable de se comporter comme un vrai héros, on ne mérite pas la moindre attention, car on n'est rien d'autre qu'une vermine ! Tu devrais être honteux de ce que tu es, Gaël ! Je sais pourtant que tu vaux beaucoup mieux que ça ! Tu me l'as déjà prouvé le jour où tu m'as sauvé la vie, en tuant Balthazar !
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
ParanormalMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...