Quelques jours plus tard, au petit matin, en bordure d'un champ, transformé en un cimetière improvisé, dans la terre meuble, nous procédâmes à l'inhumation des victimes de la bataille de Racour. La cérémonie, diligentée par l'abbé Talmont, fut aussi sobre que digne. Les Macrâles survivantes dirent adieu, non sans émotion, à leurs Sœurs tombées au champ d'honneur. Lorsque Fidanza et son acolyte descendirent également en terre, toutes s'abstinrent du moindre cri de haine, du plus petit geste déplacé. Cette attitude noble fut tout à leur honneur. Un détail ne m'avait cependant pas échappé. Gaël s'était chargé d'aller récupérer la dépouille de Balthazar, à l'endroit où il avait trouvé la mort mais était revenu bredouille. Le cadavre s'était évaporé. Mais qu'il ait été dévoré par des loups ou emporté par une troupe de Flamands importait finalement peu.
L'assassin de mon père avait payé ses crimes et c'était bien là l'essentiel.
Saturnin avait insisté pour assister à la cérémonie et dire adieu aux trois chevaliers qui avaient également perdu la vie. Le géant se tenait debout avec peine, s'appuyant sur une canne mais l'évolution de son état de santé était spectaculaire. Il lui avait suffi de quelques jours à peine pour quitter son lit et entamer son processus de revalidation. Bientôt, il serait entièrement rétabli et en mesure de décider que faire du reste de sa vie.
Alors que l'office touchait à sa fin, je sentis quelqu'un me tirer par la manche. C'était Ajar, pâle et frêle comme un moineau qui me souriait. Je lui répondis pareillement, heureuse de la revoir sur pied.
L'abbé Talmont s'agenouilla aux pieds de l'enfant, tâtant son front, tâchant d'y déceler, en vain, la moindre trace de fièvre.
-Et bien. Tu sembles aller mieux, petite. Dieu en soit remercié !
Voyant leur sœur à nouveau debout, les Macrâles se précipitèrent sur elle, l'entourant de toute leur sollicitude. Fini le deuil, effacé par la joie de revoir la petite fille en vie. Pourtant, je remarquai que l'abbé Talmont se tenait en retrait de la scène, observant silencieusement une chose qui m'avait échappée jusque-là. En y regardant de plus près, je constatai qu'Ajar gardait sa main gauche fourrée dans sa poche. La température était pourtant clémente et je ne comprenais pas ce qui la motivait à agir de la sorte.
Soudain, l'abbé tira sur le bras de la fillette, la forçant à dévoiler sa main au grand jour. Il y eût des cris de stupéfaction : la main d'Ajar était devenue aussi noire que l'ébène. Celle qu'elle avait tournée vers le Seigneur Fidanza afin de provoquer sa mort
-Rendez-vous à l'Oasis dans une demi-heure. Toutes, sans exception. Nous devons parler de choses importantes, s'exclama l'abbé d'une voix blanche.
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Treize Macrâles, dont moi et Ajar, avaient pris place autour de la table, présidée par l'abbé Talmont.
-Ajar ! Peux-tu nous dire exactement ce qu'il s'est passé ? T'en rappelles-tu ?
La fillette, au bord des larmes, secoua la tête. Elle ne voulait pas en dire plus, gênée par tous les regards curieux fixés sur son étrange main.
-Il le faut, Ajar ! C'est terriblement important pour chacune de tes Sœurs. Elles doivent savoir ! Fais-le pour elles, s'il te plaît.
Ajar ravala sa salive avant de se lancer dans des explications un peu confuses. Elle évoqua la façon dont elle avait embauchée dans les usines de l'Inquisiteur, où elle avait travaillé comme une forcenée pour un salaire de misère. Jusqu'au jour où elle s'était emportée sur un contremaître un peu trop brutal et l'avait terrassé elle ne savait comment. L'incident ayant fait grand bruit, Sarah n'avait pas tardé à la retrouver afin de « la mettre à l'abri », selon ses dires. C'est ainsi qu'elle s'était retrouvée en compagnie des Macrâles fugitives en ce village isolé, perdu au fin fond de la Hesbaye.
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
ParanormalMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...