21. Les murs de Saint-Léonard

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Nous faisions face à la prison. Les hauts murs de pierre nous surplombaient de toute leur terrible majesté. Les lourdes portes de fer étaient closes. Tout dans cette bâtisse semblait avoir été fait pour inspirer l'effroi. Pourtant, un détail ne tarda pas à m'intriguer. Gilles confirma alors mes soupçons. La prison Saint-Léonard était le fruit d'un ouvrage récent et non un vestige datant d'avant le Grand Effondrement. Construite sur ordre de l'Inquisiteur lui-même, à l'endroit exact où s'était jadis tenu l'ancien bagne du même nom, elle était devenue le dernier lieu à Liège dont on souhaitait franchir le seuil. Rares étaient ceux à en être ressortis. Plus rares encore ceux à avoir conservé toute leur raison après les sévices qu'on leur avait infligés. Gilles Langue d'Argent faisait partie de ces « privilégiés ». Il s'était cependant montré réticent à évoquer tout ce qu'il savait de cet épouvantable endroit. Il se contenta d'affirmer que l'Inquisiteur n'ayant personne pour contester son autorité et lui imposer la moindre règle de conduite, la nouvelle prison Saint-Léonard était devenue le lieu idéal pour se débarrasser discrètement des importuns, les torturer jusqu'à plus soif sans que quiconque ose protester.

Gilles avait revêtu un vieux sweat-shirt dont il avait rabattu le capuchon trop ample afin de dissimuler ses traits mutilés, bien trop reconnaissables.

-Ces maudites portes sont vraiment impressionnantes, cracha-t-il. Comprends-tu maintenant ce que je voulais te dire ? Aucune intrusion n'est envisageable. Ne parlons même pas d'une tentative d'évasion. Personne n'y est encore parvenu, à ma connaissance.

C'était un de ces matins de novembre gris et sinistres où même les plus courageux préfèrent rester blottis chez eux, bien au chaud. Personne, ou presque, ne nous prêtait attention. Au sommet des murs, nous apercevions la tête des gardiens occupés à faire leur ronde avec la régularité d'une horloge impeccablement réglée. Hormis cela, c'était le calme plat. Difficile de croire qu'un convoi de prisonnières de première importance allait surgir d'un moment à l'autre. Nous étions seuls, Gilles et moi, à attendre la suite des événements. Colin avait accepté, à contrecœur, de rester à la planque rue Tête-de-Boeuf, Gilles ayant affirmé, à raison, qu'un groupe trop important ne manquerait pas d'attirer l'attention. Je ne doutais cependant pas un seul instant que lui et Monsieur Jojo n'auraient guère de difficultés à se faire accepter par les membres de la congrégation.

Le son d'un clairon me tira de ma songerie. Aussitôt, les portes de la prison commencèrent à s'ouvrir dans un abominable grincement. Puis, une charrette encadrée par un peloton d'hommes bardés de fer fit son apparition. A leur tête marchait Saturnin en personne, toujours coiffé de son heaume empanaché et revêtu de son armure rutilante. Mais ce n'était pas lui qui m'intéressait. Assisses dans la charrette se trouvaient deux femmes. Tante Louison était l'une d'elle. Elle était méconnaissable, les yeux clos et le visage couvert de sang séché. Ma mère se tenait à ses côtés. Je ne doutai alors plus d'avoir eu tort de vouloir la revoir. Elle n'était plus qu'une carcasse, hâve, les cheveux rasés, les lèvres fendues et le regard fixé sur le vide. Elle n'était plus raccrochée à la vie que par un fil ténu qu'un rien pouvait maintenant briser.

N'écoutant que mon instinct, j'échappai à la vigilance de Gilles et courut vers elle. Un des soldats ne tarda pas à me repousser d'un violent revers de bras.

-On n'approche pas ! gronda-t-il, alors que je tombai les fesses sur le sol.

Ma mère me regarda, hagarde, l'espace d'un court instant. Mais elle ne me reconnut pas. J'avais oublié que, portant les cheveux rasés, je ressemblais davantage à un jeune garçon qu'à sa fille perdue. Mille fois hélas, son regard éteint ne trompait pas. Elle était en réalité déjà morte depuis bien longtemps derrière les murs de la prison Saint-Léonard. Si son corps vivait encore, son esprit,lui, s'était déjà envolé.

Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant