Le repaire dans lequel m'emmena Jeanne ne ressemblait en rien à celui de la Très Honorable Congrégation des Gamins de Merde. Ici, point de vaisselle sale, point de bouteilles d'alcool. La cave où nous nous trouvions maintenant, bien que dépourvue du moindre confort le plus spartiate semblait propre et bien tenue. Aux murs, pendaient des cartes géographiques qui attisèrent ma curiosité. Je reconnus sans peine la représentation du pays qui s'était autrefois appelé la Belgique ainsi que celle du continent européen et celle de la planète entière. Comme tout ceci me parut vaste par rapport à ce que j'avais déjà vu du monde et à ce que je n'en verrai jamais !
Une rangée de chaises de bois rudimentaires faisait face à une petite estrade surmontée d'un bureau bancal mais soigneusement rangé. Jeanne ne m'avait pas amenée dans un lieu de repos, ni même de détente. Nous étions dans une salle de classe, entièrement dévolue à l'étude et à rien d'autre.
Jeanne avait usé de moults précautions afin de s'assurer que nous n'étions pas suivies avant de me faire pénétrer dans ce qui , pour elle, ressemblait autant à un temple sacré qu'à une salle d'étude. Cependant, à cette heure de la journée, les lieux étaient encore déserts. Les Macrâles n'arriveraient qu'une fois la nuit tombée, protégées des regards indiscrets par l'obscurité. Tout à coup, mes jambes flageolèrent tandis que toute la tension accumulée au cours de cette éprouvante journée se libérait. Les images de ma mère mourante, de Robert le Mouillard se balançant au bout de sa corde, de ma fuite désespérée, du regard fourbe de Gilles Langue d'Argent au moment de sa trahison, se mélangèrent dans mon esprit en un kaléidoscope qui me fit chanceler. La main secourable de Jeanne, ou plutôt de Clio, m'empêcha cependant de choir.
-Ca va ? me demanda-t-elle, l'air anxieuse.
Je la rassurai aussitôt en serrant les dents afin de ne pas laisser transparaître les émotions qui me submergeaient.
-Il n'est pas bon de museler ses sentiments, tu sais. Ils te mordront d'autant plus cruellement lorsque tu seras obligée de les libérer, inévitablement.
Je craquai alors, inondant le sol de toutes les larmes que mon corps pouvait contenir.
-Voilà qui est mieux, dit-elle simplement, sans trace de compassion.
Lorsque je fus calmée, je pris le temps d'observer durant quelques instants, en silence, cette étrange fille qui me faisait face, assise en tailleur sur le bureau.
-On a encore un peu de temps avant que les autres n'arrivent. Il va falloir que je t'explique quelques petites choses Tu sais pourquoi on m'appelle Clio, au fait ?
Je fouillai dans ma mémoire, cherchant dans tout ce qu'Adalbert m'avait appris mais hormis la bagnole que nous avions croisée baptisée de cette façon, rien ne se rapportait à Clio. Mon ignorance fit sourire Jeanne.
-Jadis, nous étions neuf. Neuf Macrâles. Nous nous sommes donné le nom des neuf muses de la Grèce Antique, les protectrices des arts. Il y avait Calliope, Erato, Euterpe, Melpomène, Polymnie, Terpsichore, Thalie, Uranie, et moi, Clio. Toutes étaient des femmes sages qui croyaient à la renaissance d'un monde meilleur après le Grand Effondrement. Un monde plus juste pour le sexe féminin. Malheureusement, l'avènement d'Ignace Pangelpique, l'Inquisiteur, et de sa clique est venu briser tous leurs espoirs.
Jeanne serra les poings, dissimulant mal la rage qui la dévorait intérieurement.
-Bien sûr, elles n'étaient que des femmes, elles n'avaient donc pas le moyen de lutter contre les brutes qui servent l'Inquisiteur. La seule arme à leur disposition était l'instruction qu'elles pouvaient délivrer aux jeunes filles, afin que celles-ci ne sombrent pas dans le désespoir et trouvent en elles la force de résister aux mâles qui voudraient les dominer.
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
ParanormalMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...