Comme c'était à prévoir, la discussion qui s'ensuivit avec Adalbert fut houleuse.
-C'est de la folie, ou bien de la connerie, je ne sais pas. Peut-être même un mélange des deux.
Dans la bibliothèque, Adalbert faisait les cent pas, rouge comme une pivoine.
-Répète ce que tu viens de me dire ? maugréa-t-il.
-Maman et Tante Louison sont vivantes. Je veux aller à Liège ! Ada, il faut les tirer de là avant que l'Inquisiteur ne les tue ! répondis-je d'une voix claire et exagérément articulée.
Adalbert soupira, levant les yeux au ciel.
-Et comment comptes-tu t'y prendre pour les libérer, petite naïve ? Te figures-tu qu'il te suffira de demander gentiment à l'Inquisiteur qu'il daigne bien relâcher ses deux prisonnières ? Ou bien comptes-tu te transformer en passe-murailles pour pénétrer dans la prison Saint-Léonard ?
Il eut une espèce de rire méprisant, comme s'il espérait me piquer au vif. Rien n'y fit, ma détermination demeura intacte.
-Je veux y aller, martelai-je.
Cette fois, Adalbert s'emporta pour de bon.
-Non, non et non ! C'est trop dangereux ! Tu n'imagines pas un seul instant ce qui t'attend là-bas !
Il sembla se calmer quelque peu et me fixa intensément.
-Morgane, Pangelpique est fou ! Tu n'as pas idée de ce qu'il fait subir à ceux qui tombent entre ses mains. Il t'arrivera la même chose si tu t'obstines à vouloir aller là-bas. Tu ne peux rien pour ta mère. D'ailleurs, qu'est- ce qui te garantit qu'il ne sera pas déjà trop tard lorsque tu arriveras là-bas ? Tu aurais alors couru un risque insensé pour rien.
-Je dois rejoindre les Macrâles. Je dois trouver Clio. Je n'ai pas le choix.
-Crois-tu que les Macrâles aient besoin de s'encombrer d'une enfant obstinée et capricieuse ? Tu ne serais rien d'autre qu'un poids mort pour elles. Il est bien trop tôt pour toi pour te jeter dans cet enfer, crois-moi. Si tu veux venger ta mère, Louison et tous ceux à qui l'Inquisiteur a fait du tort, tu dois attendre d'être prête. Sans quoi, tu échoueras et tu mourras sans doute dans d'atroces souffrances.
Je ne répondis plus rien, cette fois. Au fond de mon cœur, je savais qu'Adalbert avait raison. Pourtant, une petite part de moi refusait toujours obstinément d'abandonner ma mère à son triste sort.
-Tu as raison, Ada, murmurai-je d'un air contrit.
Il sourit tendrement et passa affectueusement sa main dans mes cheveux.
-Tu es une brave petite fille, Morgane. Brave et intelligente. Va, maintenant.
La discussion close, je quittai la pièce, la tête basse. J'étais cependant ravie de constater que ma petite comédie avait fonctionné et que j'étais parvenue à le duper magistralement. Ma décision était prise : à la nuit tombée, je serai partie en direction de Liège...
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Le crépuscule vint. Adalbert s'était enfermé dans la bibliothèque, pour une raison qui m'échappait. Matthew et Stacy étaient affairés à s'occuper de leur bébé. Quant à Colin, il vaquait à ses occupations. Bref, j'avais le champ libre pour m'emparer de la barque de Matthew et la laisser descendre tranquillement le cours de la Meuse jusqu'à la ville de Liège, plusieurs dizaines de kilomètres en aval.
Écartant les hautes herbes qui la dissimulaient, je tentai de mettre l'embarcation à l'eau avant de constater qu'elle était bien trop lourde pour mes bras frêles.
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
ParanormalMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...