Marie et Augustin formaient un couple étrange, désireux de vivre à l'écart du monde. C'est pour cette raison, j'imagine, qu'ils élurent domicile dans une modeste maison de pierre isolée à la lisière de la forêt. C'était une simple bicoque, humide et rongée par la mousse mais qui suffisait à leur confort, grâce aux efforts d'Augustin pour la maintenir debout en dépit des incessantes attaques du temps contre ses vieux murs.
Tout deux auraient pu vivre ainsi dans la plus parfaite quiétude jusqu'à la fin de leurs jours, si un beau matin, un autre individu n'avait eu la même envie qu'eux. L'importun se nommait Eugène et il avait pour projet le rêve un peu fou de développer son propre élevage de plusieurs centaines de têtes de bétail juste à côté de chez Marie et Augustin. Lui aussi était un enfant de l'effondrement mais il en avait hérité un caractère particulièrement difficile, en plus d'un sens de l'hygiène assez douteux qui le faisait sentir bien plus mauvais que ses cochons eux-mêmes.
A peine installé, à quelques mètres seulement de la maison de Marie et Augustin, il n'eut cesse de revendiquer de plus en plus d'espace pour, disait-il, faire paître ses bêtes dans le concept de liberté le plus total.
Dès lors, le quotidien de ses infortunés voisins fut ponctué de meuglements, de couinements et d'imprécations diverses, à toute heure du jour comme de la nuit.
Naturellement, un homme peureux comme mon père, n'osa jamais faire valoir son bon droit, quand bien même l'enquiquineur serait un individu court sur pattes, roux et doté d'une solide paire de dents de lapin.
Eugène appartenait à la race des tyrans, un de ceux qui, pour compenser leur propre laideur et leur faible intelligence, prennent plaisir à écraser et à faire souffrir leurs pairs, sans états d'âme.
Un veuvage précoce et la lourde charge d'un enfant en bas âge avaient achevé de faire d'Eugène un personnage parfaitement détestable.
Toutefois, son fils échappa miraculeusement à la contamination morale que provoquait généralement la proximité de pareil individu.
Il s'appelait Mathurin et il fut le seul ami que j'eus pendant longtemps . La nature ne se montra pourtant guère clémente avec lui non plus, lui donnant tout comme son père, une apparence de rongeur aux poils roux.
Mathurin, par bonheur, d'un caractère gai et aventureux, profitait de la moindre occasion pour fausser compagnie à son géniteur et passer des journées entières à gambader dans la nature. Mais ses escapades n'auraient jamais eu la même saveur s'il les avait passées seul. Pour cette raison, la petite Morgane, sensiblement du même âge que lui devint sa complice, un peu malgré elle, il faut l'avouer.
Or, pendant que duraient nos excursions, Eugène, impuissant, devait se résoudre à s'occuper seul de son élevage.
Dans son esprit aussi aigri que tordu, une seule responsable s'imposa naturellement. Celle qui avait perverti son fils.
Dès lors, il conçut contre moi une franche inimitié, qui se transformerait bientôt en haine farouche à la suite du catastrophique épisode que je vais maintenant vous conter...
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
FantastiqueMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...