Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique

19. Le sermon de l'Inquisiteur

Le soleil se couchait doucement, plongeant peu à peu le parc de la Boverie dans la pénombre. Sans trop savoir pourquoi, j'éprouvai une sensation de malaise. L'odeur de la chair humaine brûlée s'estompait lentement, emportée par le vent du soir. Non, c'était autre chose qui me donnait l'affreuse sensation d'avoir commis une grosse bêtise en venant ici. Un imposant bâtiment blanc aux vitres brisées se tenait non loin. Matthew haussa les épaules remarquant ma curiosité.

« Un musée, avant le grand effondrement. Maintenant, rien de plus qu'une coquille vidée, pillée de tout ce qu'elle pouvait contenir. »

Ce n'était pas non plus ce triste vestige d'un monde disparu qui m'inspirait cette crainte que je sentais lentement s'insinuer en moi. Colin constata mon trouble. Monsieur Jojo, juché sur sa tête tel un roi sur son trône, scrutait les alentours de ses petits yeux méfiants.

-Quelque chose ne va pas, Morgane ? T'en fais pas pour le crocodile. Je crois qu'il est parti. Il ne nous embêtera plus.

Les eaux noires de la Meuse étaient à nouveau calmes. Plus trace du féroce prédateur. Soudain, nous entendîmes des bruits de pas et des voix se rapprocher de nous.

-Vite, planquez-vous ! pesta Matthew, alarmé.

Nous nous plaquâmes chacun dos à un tronc d'un arbre. Sur le sentier, trois hommes s'avançaient. A leur allure nonchalante, il était évident qu'ils ne nous avaient pas encore repérés.

-Pourquoi est-ce qu'on nous envoie patrouiller ici à la tombée de la nuit ? Y'a jamais personne qui vient ici de toute façon, maugréa un des compères.

-Saturnin en a marre de voir nos sales gueules, c'est pour ça qu'il nous envoie faire le pied de grue ici. On est que des mercenaires, on compte pas pour ces beaux messieurs. Ces grands seigneurs qui se prennent pour des chevaliers. Tu parles ! Tous des empaffés ceux-là ! Saturnin, si j'en avais l'occasion, je lui ferais une tête au carré.

-Rêve pas. Il te briserait les os en un rien de temps, t'as aucune chance. C'est pas un homme, le Saturnin. C'est pas pour rien que l'Inquisiteur a tant besoin de lui et de sa clique.

Un frisson prémonitoire me traversa l'échine en entendant le mot « mercenaires ».

-Vous allez la boucler, vous deux, oui ? J'ai pas envie de vous entendre jacasser toute la soirée.

La voix du troisième homme ne m'était pas inconnue car elle appartenait à un individu que j'avais voulu à tout prix bannir de ma mémoire. Lorsque le trio passa à notre hauteur, je reconnus, sans l'ombre d'un doute, ses traits taillés à la serpe ainsi que ses yeux froids. C'était bien lui qui avait froidement égorgé mon père et enlevé ma mère.

-Pendant que tout le monde s'amuse en ville, nous, on est obligé de rester plantés ici, comme des andouilles. On nous tient à l'écart, Balthazar. C'est pas juste.

-Ouais ben, si ça te dérange tant que ça, va donc te plaindre à l'Inquisiteur en personne. Je suis sûr qu'il appréciera ta remarque.

Les trois hommes s'éloignèrent et disparurent au loin. Nous poussâmes collectivement un soupir de soulagement. Matthew se ressaisit le premier.

-De sales types, ceux-là. Les chevaliers de Saturnin ne sont pas assez nombreux pour surveiller chaque coin de la ville. Alors l'Inquisiteur achète les services de ces crapules. Ils ne plaisantent pas, eux. Et l'Inquisiteur ferme volontiers les yeux sur leurs petites combines. Croyez-moi, ils n'hésiteraient à vous tuer pour un simple regard de travers.

Il ne croyait pas si bien dire ! Si quelqu'un savait de quoi ces hommes étaient capables, c'était bien moi. Je compris aussitôt la source de l'angoisse qui m'avait saisie dès notre arrivée. C'était une sorte de prémonition. A chaque instant, je risquais d'être reconnue et arrêtée séance tenante. Certes, deux années s'étaient écoulées depuis que Balthazar et ses hommes avaient anéanti ma famille, deux années durant lesquelles mon corps n'avait cessé de changer mais cela suffirait-il à m'éviter le pire ?