Conformément à ce qu'il avait annoncé, Henrotin ne tarda pas à convoquer tout ce que la région comptait de chasseurs, qu'ils soient aguerris ou non. Le but étant de débusquer et de tuer la Bête le plus vite possible, on pensait, à tort ou à raison, que le nombre serait vecteur de succès.
Les rues de Spa se remplirent dès lors d'hommes rustres, vêtus de fourrures et équipés d'armes parfois rudimentaires : gourdins, hachettes et autres couteaux de chasse. Néanmoins, quelques-uns avaient apporté avec eux des armes à feu semblables à celle qu'avait portée ma mère.
Ce jour-là, le soleil à peine levé, une main me secoua sans ménagement. Je sursautai, fort mécontente de ce réveil brutal. Le visage radieux d'Henrotin était penché sur moi. C'était bien la première fois que je le voyais sourire depuis que la chasse à la Bête de Bérinzenne avait débuté. Il avait revêtu une tenue kaki, un large chapeau à plume posé sur son crâne rond. Je saisis immédiatement ce qu'il se passait.
-Lève-toi. Des chasseurs ont repéré le monstre. Il se cache quelque part dans la Fagne. Ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'ils ne l'abattent. Elle ne pourra plus s'échapper. Tout sera terminé avant ce soir, je te le promets. Viens avec nous. Je veux que tu voies ton ami être vengé sous tes yeux.
Curieusement, cette perspective ne m'enchantait pas. Une voix, un instinct primitif, me murmura que les choses ne seraient peut-être pas aussi simples qu'Henrotin le prétendait.
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Un ciel uniformément gris surplombait la morne étendue des Fagnes, balayée par un vent du nord glacial. Des langues de brume tourbillonnaient au-dessus des tourbières, engloutissant les caillebotis qui serpentaient jusqu'à l'horizon.
Les oiseaux s'étaient faits discrets, cachés dans les replis de la végétation, probablement conscients du danger qui les menaçait eux aussi. Seul le clapotis des ruisseaux alimentés par la pluie faisait entendre sa complainte à travers le plateau désolé.
-Maudite soit cette satanée purée de pois. Je mettrais ma main au feu que c'est ce démon qui l'a faite se lever pour essayer de nous échapper.
Aussi frigorifiée qu'Henrotin, j'observais le paysage, postée à ses côtés, tout en haut de la tour de Berinzenne. Cette haute construction en bois de mélèze nous offrait une vue panoramique sur les alentours. Je savais qu'une impressionnante quantité de chasseurs se tenaient en embuscade, prêts à passer à l'attaque dès que la Bête daignerait montrer le bout de son museau. Car c'est bien ici qu'elle avait été aperçue quelques heures plus tôt et tous étaient persuadés qu'elle devait encore rôder dans les parages. Mais qu'en serait-il de son maître ? Qui était-il vraiment ? Quelles étaient ses capacités ? Quelle serait sa réaction si on s'en prenait à son animal de compagnie ? J'en étais à me poser toutes ces questions lorsque le son grave d'un cor de chasse déchira le silence.
-Ah ! Si tu savais comme j'aime le son du cor le soir au fond des bois ! jubila Henrotin, les yeux brillant comme des joyaux sous les bords de son chapeau à larges bords.
Au loin, se découpant à travers le brouillard, une silhouette massive s'avançait, inconsciente de la mortelle menace qui la guettait. A travers les jumelles, je perçus distinctement l'énorme loup gris qui marchait dans notre direction. Ainsi, les rumeurs avaient dit vrai. La Bête de Berinzenne était bel et bien un monstre défiant l'imagination, une créature de cauchemar sortie tout droit d'un conte destiné à effrayer les enfants. Même le grand loup noir, de sinistre mémoire, faisait pâle figure à côté de ce monstre. Son maître cependant, n'était pas présent à ses côtés. Pour la première fois, je me surpris à exulter en entendant un premier coup de feu. Si c'était bien ce monstre qui avait tué Thomas, le moment était venu pour lui de payer !
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
ParanormaleMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...