48. Le vol de la Grue Cendrée

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-Votre règne est maintenant terminé, Prince-Evêque. Plusieurs fois, j'aurais pu vous fuir. Pourtant, à chaque fois je suis revenue. Pensiez-vous que j'ignorais le sort qui m'attendait ? Non. Il fallait que j'attende le moment propice pour vous détruire. J'en ai payé le prix fort, mais peu importe, désormais. L'instant fatidique est maintenant arrivé. Il est temps de régler nos comptes une bonne fois pour toutes ! Préparez-vous à mourir, Gernot !

Gravitant à quelques mètres du sol, le corps de Morgane s'était entouré d'un cocon d'énergie crépitante. Était-ce encore mon amie ou bien s'était-elle transformée en quelque chose de beaucoup plus terrifiant et puissant ?

-Les Macrâles sont désormais libres, hors de votre portée. Vous n'avez pas pu les soumettre, pas plus que vous n'avez pu me soumettre, moi. Finissons-en maintenant, Prince-Évêque ! Pour mon père. Pour ma mère. Pour Tante Louison. Pour les Spadois. Pour Ravagnan. Pour Thomas. Et pour tous les autres que vous avez fait périr. Il est temps d'expier vos crimes !

La lumière qui entourait Morgane se modifia pour atteindre une sinistre teinte cramoisie.

 Ellie poussa un cri d'orfraie. 

Le Prince-Évêque recula, médusé, à l'instar de tous ses courtisans.

-Saturnin ! Tue-la ! balbutia-t-il, en désespoir de cause.

Le chevalier se leva en titubant, mais ne réagit pas immédiatement, trop ivre pour percevoir le danger qui menaçait son maître. Tout à coup, le vent qui soufflait dans la cathédrale se changea en une véritable tempête lorsque tous les vitraux implosèrent simultanément sous la formidable pression du pouvoir du Vent de l'Est, déchaîné. Une trombe mugissante se matérialisa, jetant tout le monde au sol. Je me cramponnais tant bien que mal à un pilastre, évitant de justesse d'être emporté dans les airs, au milieu de grappes de courtisans terrifiés et de morceaux de mobiliers fracassés.

Lentement, Morgane redescendit. Lorsque ses pieds touchèrent à nouveau le sol, le cataclysme s'apaisa, laissant une masse d'hommes et de femmes, hagards, gisant au sol, enchevêtrés et sanguinolants. 

Ellie et le Prince-Évêque furent les premiers à se relever, livides, le corps couvert de plaques rouges et de bubons purulents. Derrière eux, les courtisans se redressèrent, dans un pareil état, véritable armée de cauchemar.

Un grand silence,  presque irréel, s'empara des lieux. Puis, Ellie la première, se mit à hurler en découvrant ses mains couvertes de plaies suintantes. Ce fut ensuite un concert de cris suraigus, de hurlements de souffrance et d'effroi. Je dus me boucher les oreilles tant mes tympans me faisaient souffrir.

La voix de Morgane, étrangement puissante, amplifiée par l'écho, s'éleva au-dessus de cette infernale cacophonie.

-Je suis le Vent de l'Est. Le Vent Mauvais, celui qui apporte mort et maladie. Vous avez récolté la tempête, née du vent que vous avez vous-même semé.

Je contemplai mes propres bras et mains. Ils étaient intacts, à mon grand soulagement.

On ne pouvait pas en dire autant de ceux d'Ellie. La vieille femme s'était changée en une masse informe de pus jaunâtre, un immonde tas visqueux, dépouillée de presque toute trace d'humanité. Pleurant, hurlant qu'elle ne voulait pas mourir, elle se jeta dans les bras du Prince-Évêque. Lui aussi semblait proche de se décomposer à chaque pas, implorant Morgane d'un ton larmoyant.

-Aucune pitié pour vous. Tout ce qu'il vous reste à faire, c'est de subir la juste vengeance des Macrâles avec dignité. Il est trop tard pour vous sauver, désormais, clama Morgane, comme une impitoyable sentence.

Le Prince-Évêque Gernot, dont la vie lui filait entre les doigts telle une poignée de sable, s'effondra à genoux, dans une ultime supplication, avant de s'écrouler face contre terre, comme un horrible et grotesque pantin désarticulé dont on aurait subitement coupé les fils.

Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant