Me savoir enfermé dans cette cellule étroite, en compagnie de Robert le Mouillard en personne n'avait rien de rassurant. Distraitement, le chef brigand regardait au travers des barreaux donnant sur l'extérieur, offrant une vue plongeante vers la cité. Le soleil avait maintenant entamé sa descente, teintant le ciel d'un bel éclat orangé. La nuit ne serait plus longue à tomber.
Si on entendait encore les échos de la bataille qui faisait rage dans les rues, ceux- ci tendaient à diminuer peu à peu, signe que le carnage touchait à sa fin. Mais pour combien de temps ? Si le Mouillard n'avait pas menti, nous n'allions pas tarder à voir apparaître en aval de la Meuse une véritable armada, prête à déferler et à écraser toute forme de résistance sur son passage.
Plus effroyable encore que ces perspectives, les cris de Morgane : ils s'étaient tus...
Je bouillonnais, je voulais à tout prix quitter cet endroit au plus vite, récupérer Morgane, s'il en était encore temps, et nous mettre à l'abri, loin de toute cette folie.
Un murmure montait depuis les niveaux inférieurs de la prison, s'amplifiant de minute en minute. Les brigands qui avaient volontairement été enfermés à Saint-Léonard, déguisés en simples vagabonds, s'agitaient, attendant le signal de leur chef pour passer à l'action. Aucun n'était armé, mais, selon les dires du Mouillard, tous étaient rompus aux arts du combat à mains nues, et n'auraient aucun mal à neutraliser la maigre garnison.
-Tout était calculé. Je savais que ce jour serait propice à une émeute de grande ampleur. Ils ne s'attendront pas à être ainsi pris à revers. La victoire est assurée. Thomas a bien rempli sa mission. Je suis fière de lui. Sans lui, jamais les Liégeois n'auraient trouvé le courage de se révolter. Il a parfaitement attisé leur mécontentement afin d'aboutir à cette révolte.
Je me sentais empreint de doutes. Qu'en serait-il du code de fer dont m'avait parlé Thomas ? Je serrai les dents en repensant à lui et au sort qui l'attendait entre les mains de ses cruels geôliers. Mais, si nous faisions vite, peut-être serait-il encore temps de le sauver.
-Bon, eh bien, je crois qu'ils ne vont plus tarder à présent. L'heure est venue!
Prenant soudain une profonde inspiration, Robert le Mouillard poussa un cri bestial, proche de celui d'un loup hurlant à la lune. L'un après l'autre, les membres de la meute se joignirent à ce chœur, éveillant en moi l'irrépressible envie d'y répondre. Un rugissement furieux s'échappa de ma gorge, allant même jusqu'à faire sursauter le Mouillard.
-Pas mal, petit ! Tu as du potentiel, tu sais! Tu serais le bienvenu parmi nous, si tu le souhaitais !
Voilà qui n'était pas pour me plaire. Je n'avais nulle confiance en ce personnage au passé obscur et aux intentions douteuses.
-Où irez-vous ensuite ? Je veux dire lorsque vous vous serez vengés du Prince-Évêque...
Le Mouillard haussa les épaules.
-Qui sait ? J'ai toujours rêvé de rejoindre la Flandre. La plus grande partie du pays est maintenant sous les eaux. Plus qu'un véritable pays, c'est une série d'îles dirigées par des hommes et des femmes partageant mes aspirations. Ce sont d'anciens hors-la-loi repentis qui tentent de créer une nouvelle république, comme celle de Libertalia, autrefois. Nous y serions les bienvenus si notre souhait était de nous ranger définitivement. Peut-être le temps est-il venu ? Je dois encore y réfléchir.
Le brigand avait maintenant les yeux rivés sur l'horizon, perdu dans une vague de nostalgie aussi profonde que soudaine. Brusquement, venue de l'étage inférieur, nous entendîmes un cri étouffé suivi du bruit caractéristique d'un corps s'effondrant sur le sol.
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Macrâle: itinéraire d'une sorcière de Belgique
FantastiqueMacrâle: mot issu du wallon liégeois, désignant familièrement une sorcière. Mais comment devient-on Morgane la Rouge, la plus redoutable d'entre elles? Ce nom murmuré avec crainte, ce conte terrifiant chuchoté aux enfants réticents à finir leur sou...