𝐓𝐇𝐄 𝐌𝐔𝐑𝐏𝐇𝐘𝐒

11 . après-combat

WOLFGANG MURPHY

DE MA main non-ensanglantée, je toque au cabinet de la kiné. Mes muscles sont en feu. Je ressens toujours ça après un combat. Mais aujourd'hui, c'est plus intense. Les conditions font que je me suis encore plus donné que d'habitude — sachant que je suis un boxeur acharné. En sortant du ring, j'ai bien cru que j'allais tomber et ne plus me lever avant longtemps.

  Je viens tout juste d'avoir un entretien avec un médecin. Il m'a fait quelques bandages et m'a donné un médicament pour alléger mes douleurs.

  Tout à l'heure, ma kiné était Janet, et voilà que je me retrouve chez Erin. Peut-être que j'ai été confondu avec mon frère puisqu'au final, c'est maintenant lui qui se retrouve avec Janet. Je trouve ça dommage, je m'entendais bien avec cette kiné.

  Erin m'accueille, un grand sourire aux lèvres. Elle m'invite à m'assoir sur le lit d'auscultation. Sentant ma main me démanger, je la couvre de mon autre main. Je m'allonge, non sans douleur, sur le lit. Je m'appuie sur le dossier.

  — Où vous avez le plus mal ? me demande Erin, l'air inquiet.

  — Mon bras droit et mon dos.

  — Respirez un bon coup.

  Je ferme doucement les yeux et prend une grande inspiration. En fermant les yeux, je vois Leighton et Winston. Ils se dessinent sous mes paupières. Ils sont mes raisons d'avancer. 

  Je rouvre les yeux et tente de me détendre.

  — Pourquoi je ne suis plus avec Madame Curtis ? 

  — Nous avons dû échanger certains de nos patients attitrés, me répond-t-elle.

  Elle attrape ma jambe.

  — Dîtes-moi si c'est trop douloureux.

  Elle commence à faire quelques étirements.

  — Les prochains combats sont dans quatre jours ?

  J'acquiesce. 

  — Ces quatre jours vont passer très vite, je réplique.

  — Je pense que tout ce championnat va passer vite, renchérit-elle.

  Elle a raison. J'ai déjà le sentiment que ces premiers jours sont passés à une vitesse folle. Je me plais beaucoup ici. Tout le monde est motivé, et c'est très motivant. Winston ne cesse de me motiver. Leighton m'envoie beaucoup de messages encourageants. Maman et papa m'appellent le matin et le soir. Quand j'ai leur soutien, tout me paraît surmontable.

  Malgré mes douleurs, je garde mon sourire aux lèvres. Je dis toujours que c'est en étant positif que nous attirons le positif. Je suis reconnaissant de tout ce que j'ai. Je suis reconnaissant d'avoir une famille si présente à mes côtés et d'être arrivé jusqu'ici. Même si j'échoue, je pourrai déjà avoir cette fierté. Francesco Esposito n'est pas n'importe qui. C'est un vrai honneur de pouvoir dire qu'Esposito a cru en notre potentiel.

  — Vous êtes déjà allés au Mexique ? je lui demande, essayant de me concentrer sur autre chose que sur mon corps.

  — Une fois, quand j'avais neuf ans. C'est un très bel endroit. Et vous ?

  — Jamais. J'ai hâte. 

  — Je peux vous poser une question ?

  J'hoche la tête. Erin est une fille très agréable. Elle est très discutante et il n'y a rien de tel pour oublier la douleur.

  — Winston est votre frère ? me demande-t-elle.

  — C'est mon jumeau, je confirme.

  — Vous discutez plus que lui, remarque-t-elle.

  Je la regarde, surpris. Mon frère, en plus d'être une commère, est une vraie pipelette. Je l'imagine très mal rester silencieux avant un combat. Cela ne lui ressemble pas. Parler avant un combat est un de ses besoins vitaux.

  — Il ne parlait pas du tout ? je demande.

  — Muet comme une carpe, assure-t-elle.

  Winston est un homme à femme. Il trouve toujours le moyen de draguer à droite à gauche. Pourtant, il n'a jamais réussi à nous dégoter une fille digne de ce nom. Il n'a que des coups d'un soir. Je n'aime pas quand il ne rappelle pas une fille le lendemain. A ce moment-là, Winston devient un vrai crétin. Si Leighton était au courant de la vie sentimentale désastreuse de mon frère, elle penserait comme moi.

  Leighton connaît ma vie sentimentale inexistante. Cependant, elle imagine que Winston n'est pas prêt à aimer. C'est vrai. Pourtant, il essaie, mais il ne trouve jamais la perle rare. Après chaque rendez-vous, mon jumeau me fait un débriefing. Je suis son journal intime, et il est le mien.

  Voilà donc la raison de ma surprise. Erin est une jolie fille. Connaissant Winston, il aurait tout fait pour qu'elle ait une image positive de lui en tête. Il lui aurait parlé de la pluie et du beau temps en espérant qu'un feeling se développe.

  Comme moi, Winston a la conversation facile. Chez les Murphy, nous avons tous la conversation facile. Avoir le feeling avec nous n'est pas une tâche compliquée. 

  — Peut-être qu'il était stressé, j'affirme.

  Je ne sais pas du tout à quoi il pensait.

  Peut-être qu'il a complétement flashé sur elle et qu'il n'ose pas me le dire parce que ça lui fait peur. Je le connais comme ma poche.

  — Il est toujours si silencieux ?

  — Non, il est plutôt causant. 

  Elle plie un peu trop ma jambe, ce qui m'arrache un soupir de douleur. Je serre les dents tandis qu'elle repose délicatement ma jambe.

  — Désolée, s'excuse-t-elle immédiatement.

  — Ce n'est pas grave, je réplique en lui adressant un sourire réconfortant.

  — Est-ce que vous vous sentez en mesure de faire des étirements ? Sinon, je pourrai vous donner une liste d'étirements à faire dans la soirée ou alors demain.

  — J'aimerai davantage avoir une liste d'étirements, s'il-vous-plaît.

  — Aucun souci.

  Elle marche jusqu'à son bureau et attrape la première feuille d'un paquet. Elle la ramène jusqu'à moi.

  — Dans ces cas-là, la séance est finie. Je vous conseille de bien vous reposer et de faire ces étirements. Après ça, avec les ordres des médecins, vous serez d'attaques pour le prochain combat.

  Je lui adresse un grand sourire avant de me lever.

  — Merci beaucoup.

  Je marche jusqu'à la porte.

  — A dans quatre jours alors, je termine en ouvrant la porte.

  — A dans quatre jours, répète-t-elle en fermant la porte derrière moi.

  Qu'est-ce que je retiens de ce rendez-vous ? Je retiens que je devrai avoir une sérieuse discussion avec mon frère.