19 . culpabilité

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WINSTON MURPHY

COMME SI l'accident de Wolf n'était pas suffisant, une violente tempête est en train de se préparer. Les médias recommandent de rester barricadé et de ne sortir sous aucun prétexte à l'extérieur. Des pannes d'électricités sont prévues. L'hôpital m'a indiqué de passer la nuit dedans.

Il est onze heures, la tempête est prévue à partir de dix-huit heures. Wolf est parti se faire examiner il y a une demi-heure. Je devine qu'ils vont lui faire des bandages solides. Il ne s'est toujours pas réveillé. Il est inconscient depuis douze heures. Les médecins sont de plus en plus inquiets.

Je suis seule dans la chambre, ruminant sur le sort de Wolf. Lei devrait arriver très prochainement. J'ai terriblement besoin de sa compagnie. Maman et papa arriveront dans l'après-midi. J'ai besoin de ma famille.

Les minutes passent comme des heures. Ce silence pesant m'empêche de penser à autre chose. Cette chambre d'hôpital me donne des frissons. Les murs gris donnent un air triste à la chambre, vide de vie.

Je regarde le sol. C'est la seule chose sur laquelle je peux me concentrer. Je n'ai pas envie de parler avec quelqu'un au téléphone. Je n'ai pas envie d'aller regarder ce qu'il se passe sur les réseaux sociaux. Je suis bien trop perturbé pour me focaliser sur quelque chose qui nécessite un peu d'attention.

  Tous ces appareils aux bips incessant me bourrent le crâne. Maintenant qu'ils ont cessé et que mon frère a quitté la chambre, je me sens terriblement seul et terriblement mal. Mon cerveau repasse en boucle le moment où mon frère est tombé sur la tapis et qu'il ne s'est pas relevé. Je me sens terriblement coupable. Je suis censé le protéger. Maintenant, j'ai l'impression de l'avoir conduit jusqu'ici. J'aimerai pouvoir regarder le brun de ses yeux ne serait-ce que pour quelques secondes. Je ne peux me résoudre à accepter la situation : Wolfgang dans cet état et moi, assis sur ce siège à côté, rongé de culpabilité.

Quelqu'un toque à la porte avant de l'ouvrir. A contrecœur, je lève les yeux. Lorsque je vois Leighton entrer, je me lève. La pièce semble bien plus lumineuse quand elle pose un pied dedans.

— J'ai fait du plus vite que j'ai pu, commence-t-elle en me serrant dans ses bras.

— T'as le visage froid, je remarque en desserrant notre étreinte.

— Il fait très froid dehors. Je m'attendais à voir un grand soleil au Brésil.

— La météo reflète la situation.

Elle acquiesce avant de s'assoir sur le fauteuil où j'étais précédemment.

— Merci d'avoir chauffé la place, plaisante-t-elle, essayant de me remonter le moral.

Je n'ai pas le cœur à rire. Alors je me contente de lui adresser un petit sourire. Les mains dans les poches, je regarde à travers la fenêtre. Je vois des gens sur le parking, tantôt heureux, tantôt dévastés. Je regarde les gens sortir de l'hôpital avec les gens qu'ils aiment sur leurs deux pieds.

— Winston, Wolfgang ne voudrait pas que tu passes ta journée à regarder par la fenêtre.

— Il n'est pas là pour voir ce que je fais ou non.

Je pose mon regard sur ma sœur, qui détaille la chambre du regard. Nous avons une petite salle de bain en plus de la chambre. C'est une chambre basique. Francesco Esposito a fait en sorte que Wolfgang bénéficie d'une chambre seule, sans la présence d'un second patient. Il a dit que les moments comme ceux-là étaient plus faciles à surmonter quand ils restaient privés.

— Je suis passée devant le Christ rédempteur, annonce Leighton. Je l'ai supplié de veiller sur Wolfgang et de faire ce qui a de meilleur pour lui. Tout à une raison.

— Ne te fais pas d'idées, Lei'.

Deux tocs se font entendre sur la porte. J'ai espoir de voir Wolfgang arriver dans la chambre, les yeux grands ouverts et son habituel sourire aux lèvres.

A la place de cette vision utopique, un médecin ouvre la porte. Je discerne le lit d'hôpital de mon frère. Un médecin pousse le lit dans la chambre, tandis qu'un autre tient les différents appareils auxquels Wolf est branché. C'est encore pire que quand il est parti. Dans les regards des infirmiers, je discerne de l'inquiétude. Je sens qu'ils s'apprêtent à nous annoncer quelque chose.

Leighton se lève et attrape mon bras. Son corps entier est tremblant. Ses lèvres grelottent tandis qu'elle fixe le lit.

— Nous avons été contraint de plonger votre frère dans un coma artificiel, annonce un des deux infirmiers.

J'entrouvre ma bouche, incapable d'articuler un mot à l'égard des deux infirmiers. Tout d'un coup, la Terre s'arrête de tourner et je reste bloqué sur ce moment. 

— Nous allons vous laisser seuls avec lui.

Les deux médecins quittent la chambre aussi vites qu'ils sont arrivés.

Leighton et moi nous précipitons vers le lit.

  — J'avais espoir de le voir revenir avec les yeux ouverts, j'avoue, laissant mes yeux se border de larmes.

  Rapidement, je sens plusieurs larmes couler le long de mes joues. J'ai l'impression que toutes les fleurs se sont fanées, que la pluie a remplacé le soleil, que les sourires ont été remplacés par des pleurs,... Je ne vois plus de positif dans la vie sans Wolfgang.

Je regarde Leighton, qui pleure à chaudes larmes. Je la serre dans mes bras. Mes sanglots se mêlent aux siens.

— Et s'il ne se réveillait pas ? demande Leighton. Nous devons nous ouvrir à toutes les possibilités et accepter la réalité, continue-t-elle d'une voix faible.

— Il se réveillera, j'assure en regardant Wolfgang et ses respirations régulières. Ils n'ont pas fait ça pour rien.

Je serre les mains de ma petite sœur. J'ai besoin d'elle plus que jamais. Il n'y a rien de plus important que ma famille dans les moments comme ça. Je sais qu'ils sont l'épaule sur laquelle je pourrai toujours me reposer.

— Garde espoir, Leighton, rien n'est fini.

— J'ai envie de te croire. Mais je n'y parviens pas. On doit se préparer psychologiquement.

— Ne raconte pas des bêtises, je déclare d'une voix douce et calme. Wolfie est fort.

Leighton fond à nouveau en larmes, me brisant un peu plus encore le cœur. Je sens la souffrance dans son regard, dans ses gestes, dans ses paroles. Je ne l'ai jamais vu dans cet état. Je ne l'ai jamais vu aussi abattue.

C'est la fille la plus solaire que je connaisse. La voir dans cet état est si inhabituel que ça pourrait briser le cœur de n'importe qui. Mon devoir d'aîné, c'est d'être là pour elle. De la faire relativiser et de la réconforter quand elle en a besoin. Mais je n'y arrive pas. Je suis en train d'échouer lamentablement.

Je ne veux pas me préparer à la mort de Wolfgang. Je sais que ça n'arrivera pas. Je sens son cœur battre à l'unisson avec le mien. En tant que jumeau, je peux déterminer qu'il se réveillera. Je ne sais quand, mais je sais que ce sera le cas.

Si je perdais Wolfgang, je perdrais ma vie. Le voir disparaître reviendrait à me voir disparaître. Voilà pourquoi ça ne doit absolument pas arriver. Je ne me le pardonnerais jamais.

  J'aurais pu éviter cette catastrophe en suppliant Wolfgang de quitter ce ring maudit. Mais je savais qu'en abandonnant ce combat, il serait frustré à jamais. Alors je l'ai laissé faire, fuyant l'idée qu'il puisse y avoir de telles conséquences.

  Je l'ai laissé se battre jusqu'au bout parce que c'était son souhait. Son souhait était d'aller le plus loin possible dans cette compétition et de montrer aux autres et à lui-même qu'il était à la hauteur de ce championnat, qu'il méritait sa place ici. Dans tous les cas, je suis fier de lui, plus que quiconque. Il n'a pas baissé les bras, et ça fait de lui un boxeur intrépide et courageux qui ne se laisse pas abattre devant la difficulté.

  Je regarde le visage de mon frère, ce dernier demeurant immobile. Je redoute le moment où je verrai la déception sur son visage, la culpabilité et la tristesse. Il mérite tellement mieux, après tous les efforts qu'il a fourni.

  Quand il se réveillera, tout aura changé.

𝐓𝐇𝐄 𝐌𝐔𝐑𝐏𝐇𝐘𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant